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Paris, le 20 juillet 1828.

Il me tarde beaucoup, mon cher et respectable ami, d’apprendre que vous êtes entièrement rétabli ; cependant je n’ose espérer que vos forces reviennent aussi vite que je le désirerais. Vous aurez besoin longtemps encore des plus grands ménagemens, et je vous conjure, au nom de l’Eglise, de vous en faire un devoir rigoureux de conscience.

On continue de s’occuper ici très activement des Ordonnances[1], et, bien qu’il existe à ce sujet de la division dans l’épiscopat, cependant le plus grand nombre paraît disposé à la résistance. A la tête des faibles, sont les deux archevêques de Bordeaux et d’Albi ; viennent ensuite le duc de Rohan, le cardinal Isoard[2], les évêques de Châlons, d’Amiens, de Périgueux, et quelques autres ejusdem farinæ. L’homme aux petits poulets[3]paraît jouer un rôle double. Quant à Feutrier, on dit que l’orgueil et le dépit l’affermissent de plus en plus dans ses mauvaises voies. Si Dieu ne le touche miraculeusement, ce pauvre misérable ira jusqu’où l’on peut aller. On ne voit autour de lui que des Jacobins et des prêtres perdus. Il disait dernièrement qu’il ne regrettait qu’une chose. Devinez quoi ? De n’avoir pas été sur son lit de mort, quand il a signé l’ordonnance, attendu qu’elle a sauvé la religion. L’abbé Fayet écrit, dit-on, pour justifier les deux actes du ministère qui marquent le commencement de la persécution. Cela serait bien digne de lui. Du reste, nous avançons chaque jour vers la catastrophe inévitable. Dans cette terrible crise, je crains pour le trône, mais je suis tranquille sur le sort de la foi.

Je vous en prie de dire à M. V[oullaire] que je n’ai pas sous les yeux l’ouvrage de Michaëlis, mais que l’ordre à établir entre les différentes parties étant toujours un peu arbitraire, il peut sans inconvénient choisir la distribution qui lui paraîtra la meilleure.

  1. Les deux ordonnances du 16 juin dont par le ici Lamennais avaient pour objet, la première d’interdire aux Jésuites l’enseignement secondaire, la seconde de limiter le nombre des petits séminaires, dont les directeurs devaient être agréés par le gouvernement. La plupart des évêques, et, à leur tête, Mgr de Quélen, archevêque de Paris, et le cardinal de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, doyen de l’épiscopat français, signèrent une Déclaration par laquelle ils revendiquaient la liberté civile et religieuse, inscrite dans la Charte, contre ces ordonnances malencontreuses.
  2. Le cardinal Isoard (1766-1839) était archevêque d’Auch.
  3. Ce terme, dont le sens nous échappe, semble désigner Frayssinous.