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qu’une phrase. Si elle n’explique pas toute la psychologie de la défection de Lamennais, elle en explique une partie. Véritable prophète de l’avenir, emporté par son obscur instinct démocratique, par son hérédité plébéienne, par son impatient besoin de justice sociale, il a quitté l’Église parce que l’Eglise, à ses yeux, désertait la cause pour laquelle il la croyait fondée et qu’il avait lui-même si passionnément servie. Orgueilleux d’ailleurs, trop attaché à son sens propre, il n’eut pas de peine à se persuader « qu’il avait seul raison contre tous » ceux qui l’avaient suivi jusqu’ici. Et puis, il avait une âme irritable et maladive de poète. Plus que d’autres, il avait besoin de ménagemens, de confiance et de tendresse. Tout le monde, parmi ceux qui partageaient sa foi, n’en usa pas avec le tact, la discrétion, la charité évangélique dont le curé de Genève ne s’est jamais départi à son égard. Il a eu à se plaindre de bien des mesquineries et de bien des injustices ; il a vu se produire à ses côtés de trop bruyantes ruptures. Alors qu’il eût fallu tout mettre en œuvre pour le retenir, on a pris comme à tâche de l’exaspérer et de le repousser hors du sanctuaire. Un autre, plus fort et surtout plus saint, eût résisté sans doute. Lui ne sut pas s’élever au-dessus de ces misères trop humaines. Son génie même et son œuvre en reçurent plus d’une atteinte. Et l’on peut se demander enfin si, dans sa nouvelle carrière, il va trouver beaucoup d’amitiés aussi tendres, aussi dévouées, aussi obstinément fidèles, aussi désintéressées surtout que celle de M. Vuarin.


VICTOR GIRAUD.