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Voici, dans tous les cas, un service que je vous prierais de me rendre près de lui, si vous le pouviez. Il a entre les mains un grand nombre de lettres de moi adressées soit à lui, soit à Mme de Senfft[1]. Je ne voudrais pas qu’après lui elles passassent en la possession de personnes inconnues de moi et de lui peut-être. Je serais fâché aussi qu’elles fussent détruites, parce qu’elles contiennent beaucoup de souvenirs pour moi précieux et chers. Elles me seraient, en outre, fort utiles, si je m’occupais plus tard de rédiger des fragmens de Mémoires. Vous me feriez donc beaucoup de plaisir, si vous pouviez et vouliez lui faire savoir le désir que j’aurais de recouvrer cette correspondance, soit maintenant, soit à une autre époque où il jugerait plus convenable de me la faire remettre : bien entendu toutefois que cela ne le contrarierait nullement.

Recevez, je vous prie, l’assurance de mes sentimens aussi affectueux que dévoués.

F. LAMENNAIS.


C’est sur ces froides et sèches paroles que s’achève la correspondance de ces deux « anciens amis, » qui, durant tant d’années, avaient combattu le même combat et professé les mêmes doctrines. Ils suivaient maintenant des voies divergentes. Tous deux « également sincères, » tous deux « ne cherchant que ce qui est vrai, » leur « droiture » à tous deux est au-dessus de tout soupçon. Et pourtant, est-ce leur « conscience » seule, comme l’affirme Lamennais, qui les sépare ? « Pendant que ce mystère effrayant, avait-il déclaré, s’accomplit au fond de la vallée, dans les ténèbres, je monterai, de mes désirs au moins, sur la montagne pour y chercher à l’horizon la première lueur du jour qui va poindre. » La phrase est belle, et ce n’est pas

  1. M. Vuarin fit ce que désirait Lamennais, et il en écrivit à M. de Senfft, alors ambassadeur d’Autriche à La Haye, qui lui répondit le 4 janvier 1838 : «… Quelle douleur de ne plus voir Féli dans nos rangs !… Je lui adresserai incessamment par notre ambassade à Paris cette collection de ses lettres précieusement conservées depuis quinze ans. Je garderai les premières années de sa correspondance qui alors s’adressait à moi, et qui n’est pas comprise dans sa demande. Je ne lui redemande pas les lettres de Mme de Senfft, mais j’en recevrais avec plaisir telle partie qu’il pourrait m’en renvoyer. J’ai trop peu de ce qui est sorti de sa plume ; et dans quelque moment de loisir, je m’occuperai peut-être à mettre en ordre ces trésors. » Voir dans l’Histoire de M. Vuarin (t. II, p. 417) une autre lettre de M. de Senfft sur Lamennais. Les nombreuses lettres de Lamennais à M. et Mme de Senfft ont été publiées par Forgues.