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Ignorance des mouvemens, du nombre des ennemis, c’est là qu’il faut voir une des grandes faiblesses russes, une des causes de leur infériorité. On a dit qu’ils ne connaissaient pas le pays, qu’ils n’en possédaient pas de cartes et qu’ils furent, pour cette raison, battus. Mais cela n’est pas très exact : jusqu’à Liao-yang, la carte de l’état-major russe était excellente, si bonne que les Japonais n’en utilisaient pas d’autre (le témoignage d’un correspondant attaché à l’armée japonaise est formel à cet égard). Au nord de Liao-yang, la contrée était bien connue des Russes, sauf dans les montagnes, où le corps de Stackelberg s’engagea en effet un peu à l’aveuglette. Mais les grandes attaques japonaises, les attaques décisives qui firent fléchir le centre et l’aile droite russe eurent lieu dans la plaine.

Les tentatives des Russes pour se procurer des informations échouèrent. Les reconnaissances de cavalerie, nous l’avons vu, ne donnaient aucun résultat. Restaient les espions chinois. On essaya d’en dresser. J’ai connu personnellement des officiers russes qui s’y employèrent : ils étaient intelligens, habitaient depuis quelques années le pays, en parlaient la langue, disposaient de sommes considérables. Leurs efforts furent vains : les Chinois au service des Russes se sentaient, malgré toutes les précautions prises, observés, surveillés par une population hostile ; ils craignaient d’être découverts, dénoncés, surpris par les Japonais si malins. Même la cupidité n’arrivait pas à les décider. Ils accomplissaient mal leur mission et rapportaient des renseignemens sans valeur.

En regard de cette organisation rudimentaire, vouée, par la mauvaise volonté des indigènes, à une complète impuissance, il faut mettre les magnifiques résultats du système japonais. Quelques jours avant l’ouverture des hostilités, la Mandchourie, les grandes villes, surtout Port-Arthur, regorgeaient de Japonais. Tout ce qu’il y avait quelque intérêt à connaître, touchant les fortifications, les régimens, les bateaux, était, jusque dans les plus petits détails, connu.

La guerre commence : un réseau d’agens innombrables s’étend sur tout le pays et tient les Japonais au courant de tout. Il n’arrive pas un train militaire, on ne déplace pas une compagnie, un canon, un général ne bouge pas les pieds sans que les Japonais en soient aussitôt informés. Par Inkéou, par Sinminting, des courriers portent la nouvelle jusqu’au premier