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bureau de télégraphe, où se trouve un Japonais, le chef de service, qui la câble au quartier général. Quand les armées nipponnes occupent déjà une portion de la Mandchourie, des émissaires chinois, déguisés en coolies, en charretiers, en paysans, vont et viennent à travers les avant-postes. Les cosaques en arrêtaient à tout instant, qu’on trouvait porteurs de lettres et de renseignemens. Mais, pour un d’attrapé, dix passaient librement ; il était impossible, dans ce grouillement humain, d’arrêter tous les Chinois qu’on rencontrait. Les Russes se laissaient espionner, sans pouvoir rien faire : il y avait trop d’espions ; la population tout entière était avec les Japonais.

Pendant les combats d’artillerie, sur quelque monticule voisin des batteries russes, un homme agitait parfois des drapeaux et réglait ainsi admirablement le tir des Japonais ; on donna la chasse à ces hommes qu’on put assez souvent arrêter ; c’étaient des Chinois qui s’étaient familiarisés avec le tir des nouveaux canons. Ils furent immédiatement exécutés. Le soir de la bataille de Ientaï, une batterie russe était tapie au pied d’un petit tertre et la batterie japonaise tirait sur elle depuis des heures, sans parvenir à la découvrir. Tout d’un coup, le tir japonais, trop long de six cents mètres, se rectifie sans tâtonnement, sans hésitation, comme par miracle : les shrapnels pleuvent sur les canons russes ; en quelques minutes, quinze hommes sont atteints. Les artilleurs sont stupéfaits, regardent de tous les côtés : en arrière, sur la gauche, un Chinois, du haut d’un arbre, avait fait les signaux !

Quelquefois, les Japonais eux-mêmes se plurent à marquer, avec une malice narquoise, qu’ils connaissaient, aussitôt qu’elles étaient prises, les décisions de l’état-major russe. Le général Kouropatkine avait placé son quartier général à Ta-Ché-Kiao et, pendant trois semaines, il resta là, attendant l’attaque des Japonais. Mais les Japonais, peu pressés, s’obstinaient à n’avancer point. Kouropatkine retourne alors à Liao-yang, et part dans les montagnes du côté de l’Est. Or, le matin même de son départ, les Japonais attaquent, et quand Kouropatkine rentre en toute hâte à Liao-yang, la position de Ta-Ché-Kiao est déjà évacuée par les Russes. Les Japonais connurent le déplacemem du généralissime ennemi, avant même qu’il se fût produit, quelques heures après qu’il avait été décidé. Il y avait dans cette rapidité, dans cette sûreté de leurs informations, quelque chose d’effrayant !