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cuisiniers, qui vont étudier à Paris, à Berlin et à Londres l’art de contenter tous les goûts. J’ai passé une matinée dans l’office central de Brême. C’est un monde. Les services de buanderie et de lingerie exigent à eux seuls un corps de logis spécial ; des machines à vapeur et un personnel féminin lavent, damassent, plient les montagnes de linge en partance pour Bremerhaven. Dans les sous-sols, s’amoncellent les victuailles, conserves, friandises de toute provenance : il y a là de quoi approvisionner la thalamège et toutes les autres nefs de Pantagruel ; de quoi apaiser la soif de son père, dans ces caves où s’empilent des pyramides de bouteilles, vins du Rhin qui fraternisent avec nos crus de France. — « Fraternisent » est une façon de parler. Ces longues fioles seront proposées et vantées à des milliers d’Anglais, d’Américains, d’exotiques de tout poil, consommateurs qui ne connaissaient pas les vins allemands : ils y prendront peut-être goût, des habitudes se créeront : autant de cliens perdus pour Bordeaux, gagnés par le Rheingau.

Nous surprenons ici la caractéristique essentielle de cette vaste maison de commerce qu’est l’Allemagne, et l’un des secrets de sa prospérité. Elle suit le conseil que le vieillard de la fable donnait à ses enfans :

Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble :
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.

Ce nœud, c’est une liaison concertée de toutes les entreprises, une convergence fraternelle de tous les efforts. Maritimes ou terrestres, ces industries ne se contentent pas d’avancer leurs propres affaires ; chacune d’elles guette l’occasion de donner un vigoureux coup de main aux autres industries nationales. Forts de l’aide mutuelle qu’ils se prêtent, le marin, le vigneron, le tisserand, marchent du même pas, l’un remorquant l’autre, à la conquête économique du monde. Dans tous les rayons de l’immense bazar, même préoccupation constante d’enfler le bilan commun, le bilan national. — Voici, sur la même côte, deux grandes compagnies rivales, le Norddeutscher Lloyd et la Hamburg-Amerika. Impossible qu’elles ne soient pas piquées par les aiguillons d’une âpre concurrence ; et je crois bien qu’elles le sont. Néanmoins, dans un intérêt supérieur, elles ont combiné leurs opérations. Elles se sont partagé le globe, comme jadis