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En 1875, vous avez démoli une tour sur l’Acropole, à côté des propylées et du temple de la Victoire Aptère. Elle était une survivance du palais des ducs d’Athènes ; c’est bien pour cela qu’elle vous gênait. Vous ne tenez aucun compte des souvenirs français en Grèce.

Le pensionnaire. — Ah ! vous parlez de cette tour qu’on voit sur les anciens dessins de l’Acropole. Elle n’a disparu qu’en 1875 ? On a vraiment trop attendu pour l’abattre. Elle ne présentait aucun intérêt.

Le voyageur. — Pardon ! elle m’intéresse. Les ducs d’Athènes, cela m’enchante l’imagination. Un seigneur bourguignon qui se bâtit sur l’Acropole un palais embrassant les Propylées et la Pinacothèque et se prolongeant jusqu’au temple d’Érechtée… Vous n’êtes pas séduit ? À mon goût, si le Parthénon, que ne peut plus habiter Minerve, demeurait ce qu’il fut un jour, la Basilique de la mère de Dieu, les chefs-d’œuvre de l’art antique n’y perdraient rien ; ils seraient baignés de vie, ils échapperaient à cette désolation, à cette mort de musée qui me gêne là-haut.

Le pensionnaire. — Je vois que vous pourriez dire là-dessus de jolies choses, mais c’est de la fantaisie.

Le voyageur. — À moins que la fantaisie ne soit de contrarier, au nom de votre caprice, l’ordre des choses, et de gêner avec vos études et vos piétés, que je respecte, mes études et mes piétés, qu’il faut également respecter. Oh ! je vous comprends bien : vous êtes un agrégé hellénisant et ne voulez connaître que l’antiquité ; mais si je suis un chartiste et un élève de Viollet-le-Duc, si j’aime Buchon et lis nos vieilles chroniques, si je m’appelle Courajod ou bien Walter Scott ? Le « miracle grec » c’est beau, mais le miracle français, je veux dire notre expansion au XIIIe siècle, ce n’est pas mal non plus. Vous me faites songer à ces ouvriers qu’on prie de collaborer à sa maison et qui détruisent, les uns les autres, leurs travaux. Le tapissier scie le bas de mes portes, parce qu’elles ne jouent plus sur le tapis qu’il vient de clouer ; le peintre que je charge de faire un raccord arrache brutalement le « capitonnage invisible » que le tapissier avait posé dans les joints des fenêtres et des portes : chacun de ces gens-là, pour faire du bel ouvrage, détruit d’autres ouvrages qui m’étaient également utiles.

Le pensionnaire. — Vous n’allez tout de même pas comparer aux plus beaux vestiges de l’art classique une mauvaise tour