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un voyage à sparte.

la force qui anime le monde qu’il a pour l’exercer un meilleur corps et des organes plus solides.

Cette vue philosophique est très propre à mettre la statuaire au premier rang des arts : elle laisse entendre qu’un beau corps pour Phidias est quelque chose d’analogue à ce que nous appellerions une âme bien née.

Et quels droits Anaxagore et Phidias reconnaissaient-ils à ces âmes bien nées ? C’est ce qu’un texte d’Aristote nous indique. « Le νοῦς d’Anaxagore, dit-il, ne paraît pas exister dans la même mesure chez tous les animaux, ni même être réparti également entre tous les hommes… » C’est évidemment en conséquence de ce principe qu’Anaxagore, ainsi que le raconte Plutarque, enseignait à Périclès l’art de gouverner le peuple avec fermeté. Et nous voilà en mesure d’interpréter ce qu’il y avait de dominateur (jusqu’à la dureté) sous le front d’Athéna.

On atteint une conception plus claire encore du Parthénon, si l’on examine les autres textes trop rares qui nous sont parvenus d’Anaxagore.

Il a écrit : « Les Hellènes parlent mal quand ils disent naître et mourir, car rien ne naît ni ne périt, mais les choses déjà existantes se mélangent, puis se séparent de nouveau. Pour dire juste, il faudrait donc appeler mélange la production d’une chose et désagrégation sa fin. »

Voilà qui est bien fait pour justifier la paix, qui n’a rien de morne, de ces statues. Que leur vie s’écoule et que la mort s’approche, qu’importe ! elles vont avec confiance vers une autre naissance. Ainsi s’expliquent l’harmonie, le recueillement, l’éternelle jeunesse qui respirent sur l’Acropole.

Mais un dernier propos d’Anaxagore nous rend décidément intelligible la paix des créatures de Phidias. D’après Aristote, Anaxagore aurait dit à quelques-uns de ses amis ou disciples : « que, pour eux, les choses ne seront que ce qu’ils les croiront être. » Ce « doute sur la réalité objective de nos connaissances, » cette « conscience des limites de l’esprit humain, » cette certitude que nous sommes enfermés dans les phénomènes, nous donne une résignation, une acceptation. Elle nous interdit les aspirations illimitées et toutes les fausses idées du sublime romantique. La prison est irrémédiablement close ; ne nous dégradons point à frapper contre les portes, adaptons-nous à