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des mots nouveaux. Car, en réalité, qui a dit le contraire ? « Il est défendu de créer des mots : » tel serait, d’après M. Gohin, le premier article de la doctrine de Vaugelas : et d’abord je dois dire que Vaugelas, — dont les Remarques seraient tout aussi bien intitulées des Doutes sur la Langue française, — ne donne point, en général, à ses conseils, cette forme impérative. Il excepte d’ailleurs expressément de sa défense, « les mots allongés ou dérivés. » Et enfin, en troisième lieu, (pour les mots qu’il défend de créer, a-t-on pris, garde que ce sont les mots… dont on n’a pas besoin ? Diderot, si nous on voulions croire M. F. Gohin, aurait inventé les mots d’Automatiser, de Facultatiste, de Préceptoriser, de Scélératisme, de Terminateur. Ces mots étaient-ils nécessaires ? en quoi correspondaient-ils à des « idées nouvelles ? » de quel progrès, non pas même de la science, mais de l’observation psychologique et morale, dira-t-on qu’ils fussent l’expression ? Ce sont les mots de cette espèce, — allongés, dérivés, composés, fabriqués, empruntés, transplantés, il n’importe, — vraies créatures de l’ignorance ou de l’improvisation, que Vaugelas et son école ne voulaient pas que l’on créât. Ils ne voulaient pas qu’on les créât parce qu’on n’en avait pas besoin ; parce que de tels mots n’expriment, en général, rien de plus que ceux dont ils deviennent les synonymes barbares ; et parce qu’en supposant, — ce qui est le grand argument de leurs inventeurs, — qu’ils « abrègent le discours, » ils ne l’abrègent d’ordinaire qu’en le spécialisant, c’est-à-dire en le rendant plus obscur. Et, en effet, tout le monde nie comprendra, si j’écris que les conditions de la grande industrie « réduisent l’ouvrier à l’état de machine, » mais personne ne m’entendra si je dis qu’elles « l’automatisent. » Et, au lieu de dire que je n’aime pas « qu’on me fasse la leçon, » que gagnerai-je à dire qu’il ne me plaît pas qu’on me « préceptorise ? »

Mais, pour les mots qui expriment des idées ou des choses nouvelles ; — et, par exemple, si la chimie, l’histoire naturelle, la physiologie, la philologie, l’histoire des institutions viennent à naître, ou encore, si du fond de son observation, quelque écrivain, prosateur ou poète, ramène quelque vérité jusqu’alors inaperçue, — je ne vois pas qu’on ait jamais disputé à l’écrivain le droit de créer, pour rendre ces choses, des vocables nouveaux ; et, à cet égard, ce n’est pas Vaugelas, ni Boileau, qui se seraient insurgés contre la leçon d’Horace :