Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préférence ; que l’on n’a jamais « travaillé pour sa langue » à coups de barbarismes ; que leurs néologismes ne leur servent qu’à masquer leur embarras ; et qu’en somme, toutes les fois qu’ils savent à peu près ce qu’ils veulent dire, ils le disent plus ou moins heureusement, mais à peu près comme tout le monde ; — et on le voit dans ce passage même. Des mots nouveaux n’enrichissent une langue qu’autant qu’ils expriment des idées vraiment nouvelles ; et quand l’idée est vraiment nouvelle, le mot nouveau passe, et s’introduit dans la langue, sans qu’on s’en soit presque aperçu. C’est encore ce que Vaugelas avait dit avant nous.


II

Après cela, nous ne nierons assurément pas que l’histoire de l’introduction des mots nouveaux dans une langue ne soit toujours intéressante, et assez souvent instructive. Il est intéressant de savoir que Capucinade, coquettement, endolorir, indistinction, matérialiser, mésestime, ordurier, repoussant, promiscuité, routinier seraient de l’invention de Rousseau ; et je ne retiens ici de la liste de M. Gohin que les mots qui sont entrés dans l’usage courant de la langue. Nous devrions à Bernardin de Saint-Pierre : Alarmant, animalité, bruire, caverneux, chatoyant, s’exfolier, insignifiance, organisant, vésiculaire. Diderot nous aurait donné : Dispendieux, doctoralement, épistolographie, idéaliste, incoercible, ininterrompu, ondulant, préconçu, prévarication, proscripteur, surimposer, théisme, théophilie, quelques autres encore. Alacrité serait de la Beaumelle ; Enumérer, de Montesquieu ; Gloriole, de l’abbé de Saint-Pierre ; Pédestre, de Diderot ; Probe serait de Restif ; Procréateur, de Buffon ; Improvisateur, de Mercier ; Déploration, de la Beaumelle… Mais, à vouloir poursuivre rémunération, je reproduirais le Lexique entier de M. Gohin, et je dois avouer qu’en transcrivant ces mots je me demande s’ils sont bien tous de l’invention des écrivains à qui M. Gohin les attribue.

J’ai cité plus haut les vers du Misanthrope ; M. Gohin est-il bien sûr que Bruire soit une création de Bernardin de Saint-Pierre, ou ma mémoire me trompe-t-elle quand je crois me rappeler une phrase de Don Juan : « Vous voyez que, depuis un temps, le vin émétique fait bruire ses fuseaux ? » Et, en tout