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les Principes de la Philosophie de Newton ou la Lettre sur les aveugles. Mais on ne fait ni l’un ni l’autre ! On appelle tout le monde, Linguet ou Restif, — et à peu près indistinctement tous les textes, si je puis ainsi dire, la Théorie de l’impôt ou le Tableau de Paris, — à témoigner de la langue du XVIIIe siècle, et au contraire on n’appelle qu’une demi-douzaine de « grands classiques » à témoigner de la langue du XVIIe siècle ! Je voudrais, qu’avant de parler des emprunts de la langue générale du XVIIIe siècle à la langue scientifique, on eût dépouillé, je le répète, Pascal et Descartes, Bayle et Malebranche, comme je voudrais qu’avant de parler de ses emprunts à la langue populaire, on eût dépouillé Poisson et Hauteroche, Bergerac et d’Assouci, Scarron et Saint-Amant, Charles Sorel et le Père Garasse.

Si l’on faisait ce dépouillement, d’une part, et, de l’autre, cette balance, on verrait peut-être alors que deux choses, que l’on confond ou que l’on mêle, doivent être examinées séparément, pour la bonne raison qu’elles ne varient pas toujours simultanément l’une et l’autre, ni surtout en fonction l’une de l’autre : la « transformation de la langue, » et la « transformation de la mentalité. » Il est certain qu’au XVIIIe siècle, et notamment dans la période qu’étudie M. Gohin, de 1740 à 1789, — ces dates étant d’ailleurs un peu arbitrairement choisies, — l’opinion publique, le public français et européen, les gens du monde, les hommes de lettres sont devenus infiniment plus curieux de science et d’art, de musique et de peinture, par exemple, qu’ils ne l’étaient cent ans auparavant. Les vrais savans ne sont pas alors plus nombreux, et, quoi qu’on en dise, leurs découvertes ne sont pas plus considérables ; mais, de ces découvertes et de ces travaux des savans, le public est plus curieux. A plus forte raison les gens de lettres ! Voltaire et Bous-seau s’intéressent à une foule de choses qui n’intéressaient ni Boileau ni Racine. Il n’est donc pas douteux que les grands écrivains du XVIIIe siècle aient abordé beaucoup de sujets ignorés, méconnus, ou dédaignés de leurs prédécesseurs. Il ne l’est pas non plus que l’Emile et le Contrat social, que l’Histoire naturelle, que les Etudes de la nature aient été des enrichissent eus durables pour la littérature et la langue française. La Révolution n’a pas permis que l’Hermès de Chénier en devînt un. Et il n’est pas douteux enfin que, pour parler de l’attraction ou de l’ « emboîtement des germes, » tous ces écrivains ont eu