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s’ils font un trop grand nombre de cardées interrompues, il fait venir les délinquans à la porte du chariot et les frappe de sa longe. La sévérité du châtiment dépend nécessairement plus du caractère de l’homme que des règlemens de la factorie. Quelquefois il corrige les enfans avec le grand rouleau, qu’il peut facilement enlever de dessus le métier, ce qui permet de les atteindre de l’autre côté du métier. » C’était peut-être sa faute à lui et non celle des enfans, mais, comme il était payé aux pièces, il voulait rattraper par eux le temps perdu par lui-même au cabaret, et, ne le pouvant point, il se payait sur eux. Et sans doute, mérité ou immérité, ce châtiment n’était pas réglementaire, mais, dans bien des usines, il était toléré, admis ou subi en forme d’usage et en force d’habitude. « On préfère les enfans comme appiéceurs, non seulement à cause du bas prix de leur travail et de la souplesse de leurs muscles, mais aussi pour leur taille, car ils peuvent travailler sans être gênés à la table inclinée, qui doit être basse pour la facilité du boudineur, ce qui ne pourrait se faire par des personnes d’une taille plus élevée, à moins qu’elles ne fussent courbées péniblement, et dans une position nuisible à leur santé. » Par-ci par-là un patron s’indigne et s’insurge : ainsi M. Gamble, « un des hommes les plus humains qui aient jamais existé, dit Ure : il ne veut pas permettre que les ouvriers touchent les enfans, sous quelque prétexte que ce soit ; et, quand ils ne veulent pas travailler, il les renvoie. » Mais le même auteur s’empresse d’ajouter : « Malheureusement, comme il est si important pour les pauvres parens de suppléer au déficit de leur chétif revenu par les gages de leurs enfans, ils ne sont que trop enclins à fermer les yeux sur les mauvais traitemens que leur font souffrir les boudineurs, et à étouffer les justes plaintes de leurs pauvres enfans. On s’accorde à dire que ces ouvriers sont des êtres sauvages et intraitables, qui demandent des contre-maîtres d’un caractère dur pour les gouverner ; les appiéceurs sont souvent leurs propres enfans ou leurs pupilles[1]. »

N’oublions pas qu’Andrew Ure parlait en ces termes des factories, des fabriques anglaises, et que ces choses, nous ne savons pas si on les a jamais connues en France, mais en tout cas on ne les y souffrirait plus. De même y souffrirait-on à peine que des enfans, filles ou garçons, fussent employés à une besogne semblable à celle du preeming ou nettoyage des chardons

  1. Andrew Ure, Philosophie des manufactures, t. 1, p. 266-268.