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naturels, avec obligation de porter les châssis à la sécherie et de les en rapporter, travail très fatigant et qui exposait à de brusques changemens de température ; ou encore qu’ils fussent mis, ainsi qu’ils l’étaient jadis, aux laineuses ou aux tondeuses[1]. Sans doute le triage, qui « se fait sur des claies en bois, et consiste à dérouler chaque toison, puis à en extraire les plus grosses ordures, les mèches feutrées qu’elle peut contenir, en la déchirant avec les mains et en séparant les diverses qualités de la laine ; » le dessuintage ou le dégraissage « avec de l’urine en putréfaction ou bien avec un alcali dissous dans l’eau chaude ; » la teinture et le lavage en pleine humidité, « les jambes et les cuisses dans l’eau ; » le battage, au prix d’un « effort musculaire considérable » et « parfois, pour les laines déjà teintes et celles qui viennent des peaux mortes, lorsqu’elles n’ont pas été lavées ou qu’elles l’ont été mal, » au milieu d’ « une poussière qui occasionne aux ouvriers de la toux, de l’étouffement, et peut forcer d’interrompre le travail ou même de l’abandonner ; » le foulage et le lainage, toujours sous l’eau qui ruisselle ; toutes ces opérations d’une manufacture de laine avaient, quelques-unes peuvent avoir encore, malgré les perfectionnemens mécaniques ou chimiques introduits abondamment de 1810 à 1840, et non moins abondamment depuis lors, de quoi incommoder les nerfs ou les poumons des délicats.

Villermé le ressentait vivement en rédigeant ses notes : « Les ouvriers sont debout ; toute leur personne, surtout leurs mains, est d’une saleté repoussante et répand autour deux l’odeur des laines surges ou conservées en suint, c’est-à-dire sans avoir été lavées ni dégraissées[2]. » Même aujourd’hui, le pavé d’une fabrique de draps ne présente guère l’aspect d’un parquet ciré ; il ne reluit pas, astiqué et frotté comme le pont d’un navire de guerre : à chaque pas, il y faut enjamber un ruisseau savonneux, huileux, jaunâtre ou noirâtre. Mais sont-ce là des conditions de travail réellement et directement anti-hygiéniques ? Andrew Ure, qui était médecin comme le docteur Villermé, ne le pensait pas et déclarait même le contraire. « Les fileurs de fil de laine, écrivait-il, prétendent, non sans raison, que l’opération du boudinage, dans leurs fabriques, n’offre aucun inconvénient pour la santé. Quoique l’extérieur malpropre des ouvriers à leurs

  1. Ure, ouvrage cité, p. 302.
  2. Villermé, État physique et moral des ouvriers, t. I, p. 200.