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majorité, — appartenant aux diverses nuances du grand parti conservateur. Le chef, — ancien garçon dans un restaurant de nuit de Londres, de plus poète et philosophe, — s’avance poliment vers l’automobiliste démonté : « Monsieur, je suis un brigand et je vis en détroussant les riches. » A quoi Tanner riposte : « Moi, monsieur, je suis un gentleman et je vis en volant les pauvres. » La conversation, ainsi engagée, aboutit promptement à l’intimité, et comme ils sont tous deux assis, sous la nuit qui descend, auprès du feu qui achève de se consumer, Mendoza insiste pour lire quelques vers composés en l’honneur d’une cuisinière londonienne, Louisa, qui a dédaigné son amour. « Louisa !… Mendoza !… » cette mélopée endort John Tanner. Il a un rêve où il voit l’immortel Juan Tenorio, sous ses traits à lui-même. Il est dans l’Enfer et cause familièrement avec son ancien ennemi, le Commandeur, devenu un excellent type de major anglais en retraite, vertueux en principe et mauvais sujet dans la pratique, comme il convient à un homme du monde. En sa qualité d’hypocrite, « il est allé droit au ciel, mais il vient, en voisin, faire des visites au diable. » — Quoi donc ! Est-ce que ces deux endroits ne sont pas séparés par un abîme infranchissable ? — Non vraiment. On passe de l’un dans l’autre sans difficulté, comme on passe du concert classique, où l’on s’ennuie noblement, au music-hall où l’on s’amuse ignoblement. — Alors, l’Enfer est amusant ? — Hélas ! pas trop ! On n’a plus de corps : on est obligé de s’aimer avec les âmes et le diable est un idéaliste à outrance. Quant à l’altitude nouvelle de Don Juan, elle s’explique sans peine. Nous l’avons toujours vu dans une de ces deux positions : courant après la femme qu’il n’a pas encore possédée ou fuyant celle qui n’a plus rien à lui accorder. Eh bien ! après les mille trois expériences que l’on sait, il est las de la femme en général et il fuit le sexe tout entier. Don Juan misogyne, l’idée est plaisante. Mais pourquoi est-il socialiste ? M. Bernard Shaw nous l’explique trop longuement pour que nous le comprenions. A la représentation, les acteurs lui rendent l’immense service de couper les quatre cinquièmes de ce troisième acte. Sans quoi, l’on sortirait du théâtre à deux heures du matin.

Candida passait pour le chef-d’œuvre de M. Bernard Shaw avant qu’il nous eût donné John Bull’s other Island. En effet, le premier acte est plein de promesses. Nous sommes dans un milieu vrai, vivant, très moderne, au centre d’un décor bien planté,