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diverses parties de l’œuvre et que les momens successifs de l’action doivent être autant d’étapes qui nous acheminent vers un but entrevu d’avance. Le suicide n’était certes pas le but entrevu par les auteurs des pièces que nous analysons lorsqu’ils ont commencé d’imaginer intrigue et personnages, et il est difficile d’admettre que chacune de ces comédies n’ait été conçue que pour nous montrer l’utilité de la mort volontaire dans la société moderne. Ce sont tout uniment des pièces qui dévient en route et aboutissent à un point vers lequel elles n’étaient pas orientées. D’autre part l’auteur, au cours de son œuvre, n’est pas protégé contre lui-même, par une crainte salutaire, il devient libre d’accumuler les invraisemblances, les situations extraordinaires et de s’engager dans une impasse, s’il ne se sent pas retenu par l’obligation de sortir par un moyen vraisemblable, logique, humain de la situation difficile où il se place. Il peut multiplier à son gré les scènes violentes, brusques, imprévues. Nous nous demandons : à quoi tout cela aboutira-t-il ? Or les situations théâtrales n’ont de valeur, de mérite et de force que d’après la conclusion qu’en sait tirer l’auteur.

Comme l’architecture de la pièce devient arbitraire, de même en est-il pour la composition des caractères. Ils peuvent rester flottans, inconsistans, attendu qu’ils ne sont pas soutenus par la forte armature dont un dénouement logique est la partie essentielle. Maintes fois, dans ces pièces, nous avons constaté des incertitudes, des obscurités. M. Jules Lemaître lui-même, qui est un moraliste si avisé et dont la psychologie est toujours si souple et si sûre, ne s’est pas entièrement tenu en garde contre ce danger. Nous ne voyons pas toujours très clair dans l’âme de ses personnages. Ce ne doit pas être une âme très compliquée que celle du financier Chaillard. Pourtant nous en arrivons à ne plus savoir au juste s’il souhaite d’épouser Bertrade par pur intérêt ou si l’amour ne se serait pas mis de la partie. Dans la Marche nuptiale ; après avoir vu Grâce repousser si nettement les avances de Lechatelier, nous ne comprenons pas, mais pas du tout, comment elle accepte de venir s’installer chez lui et jouer avec le feu ? Pas davantage nous n’étions préparés à voir cet usinier viveur de Lechatelier se changer en un amoureux transi et fatal. L’auteur est dispensé de tenir aucun compte de la réalité, et il peut à son gré inventer des fantoches qu’au besoin il grime en croquemitaines. C’est dans la Rafale que ce défaut éclate dans son plus beau jour. Car on nous donne ce Roger de Chaceroy pour un gentilhomme intraitable sur les questions de point d’honneur. Il faut voir de quel