ouvriers, on fait entre eux une distinction. Encore une ! Nous craignons que nos lecteurs ne s’y perdent ; nous craignons de nous y perdre nous-même. La nouvelle distinction n’est pas plus lumineuse que les précédentes. Elle porte sur les ouvriers qui détiennent et sur ceux qui ne détiennent pas une partie de l’autorité publique : les seconds peuvent former des syndicats, les premiers ne le peuvent pas. Ainsi, les agens des postes peuvent-ils former des syndicats ? Non, car ils détiennent et exercent une parcelle de l’autorité publique : ils constatent certaines contraventions sur lesquelles ils font des procès-verbaux. Les instituteurs, au contraire, ne détiennent pas la moindre parcelle de l’autorité publique. Ils ne relèvent pas des contraventions ou des délits commis par des citoyens, mais seulement des fautes dans les devoirs ou dans la conduite des élèves. Ils n’infligent pas des peines, mais seulement des punitions, des pensums, des retenues. Par conséquent, dans le système de M. Barthou, ils devraient pouvoir se syndiquer. Mais M. le président du Conseil n’accepte pas cette conséquence, et nous ne savons pas si M. Barthou l’accepte lui-même. M. Rouvier a dit, en effet, que la règle établie par M. Barthou était incomplète, et qu’il ne saurait reconnaître le droit au syndicat à tous les fonctionnaires qui ne détiennent aucune parcelle de l’autorité publique ; et M. Barthou a déclaré à son tour que sa règle, ou sa « formule, » ne dissipait pas toutes les difficultés. Alors… ? C’était, de la part des radicaux socialistes, une étrange prétention de vouloir tout subordonner à la discussion d’un rapport qui, de l’aveu de son auteur, laissait planer tant d’ombres sur la question. Néanmoins on a décidé qu’on le mettrait à l’ordre du jour et qu’on le discuterait quand on aurait le temps. La discussion en sera certainement intéressante ; mais on aurait tort de l’attendre pour décider que les fonctionnaires en général, et les instituteurs en particulier, ne peuvent pas se syndiquer. M. le président du Conseil a eu raison de dire que le jour où le million de fonctionnaires que nous avons en France pourront s’organiser en syndicats et bientôt se mettre en grève, l’anarchie régnera partout. Au fait, ne commence-t-elle pas déjà à le faire ?
Pour ceux qui regardent un peu plus haut et un peu plus loin que l’incident du jour, la question est plus importante encore que la Chambre n’a paru s’en rendre compte. C’est de sa propre cause qu’il s’agissait. Nous assistons à un déplacement de pouvoir qui s’opère, tantôt par des mouvemens doux et presque insensibles, tantôt par de brusques secousses, mais toujours sans interruption et sans arrêt. Le