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un voyage à sparte.

cœur nos Étéocle et nos Polynice, tous ces frères ennemis dont nous perpétuons la querelle.



Il faudrait que je fusse un harmoniste surhumain et que je possédasse des ressources inouïes de rythme pour mêler dans un cantique juste les sympathies et les déplaisirs que j’éprouve d’Antigone. Je pleure Antigone et la laisse périr.

C’est que je ne suis pas un poète.

Que les poètes recueillent Antigone. Voilà le rôle bienfaisant de ces êtres amoraux. À mes yeux, Antigone représente la vertu et l’héroïsme ; Créon, l’autorité légitime. Ce n’est point dans les livres, c’est tout autour de moi que j’ai appris combien étaient rares les circonstances où le héros est utile à l’État. Pour l’ordinaire, ce genre de personnage est un péril public.



Les chants du supplice s’approchent. Antigone commence sa lamentation. La nénie d’Antigone marchant toute vivante à la mort ! Une des plus hautes plaintes lyriques qu’ait entendues l’humanité.

Pour nous toucher, toute beauté nous signale qu’elle doit périr ; mais est-il rien d’aussi périssable qu’Antigone dans le sentier de son supplice ? Elle trouve le plus fort moyen de nous émouvoir : elle dit tout haut son regret de n’avoir pas connu le lit nuptial. Là-dessus, fût-elle coupable, quel homme lui refuserait sa complaisance ? C’est une promesse de bonheur qu’elle laisse échapper. Quelle fière audace a cette vierge de nous fournir un trait si positif ! Elle éveille notre désir, mais l’épure de jalousie, puisque aucun homme ne la possédera.



Ballanche s’éternise auprès d’Antigone mourante, comme il faisait les jours que Mme  Récamier indisposée l’autorisait à lui tenir compagnie. Je suis plus désireux, je l’avoue, de connaître ce qui se passe dans Thèbes que d’entendre le gémissement de la vierge dans son rocher. Sophocle n’a pas tout dit quand il me fait voir la mort d’Antigone et le désespoir de Créon qui, sa femme et son fils perdus, s’éloigne dans l’exil ; il ne contente pas