gence politique, il chercherait un biais. Je suis sûr qu’il le trouverait en causant avec Tirésias, car les lois humaines n’ont rien d’absolu, et c’est le propre d’un bon administrateur de les plier selon les cas. Mais ce Créon est un novice ou plutôt un homme passionné ; il s’égare à discuter avec sa prisonnière et lui propose une difficulté. Une difficulté grave, d’ailleurs, celle-là même, qu’aujourd’hui encore, on oppose aux traditionalistes. Étéocle et Polynice se détestaient ; ils sont morts en s’exécrant ; vous dites que vous êtes leur sœur et leur sang, que vous les honorez tous les deux et que vous les continuerez, mais, trop légère raisonneuse, « vous outragez l’un par les honneurs rendus à l’autre. »
— N’était-il pas aussi ton frère, cet Étéocle qui périt en combattant Polynice ?
— Il l’était et naquit de mêmes parens.
— Comment alors honores-tu d’un service impie Polynice ?
— Étéocle ne dira pas que je l’outrage.
— Cependant tu partages avec un impie les honneurs que tu lui rends.
— Polynice était son frère !
— Il ravageait sa patrie, Étéocle combattait pour elle.
— J’agis selon les lois que Pluton nous impose.
— Le criminel et le vertueux ne doivent pas être traités de la même manière…
Terrible difficulté du vieux texte grec et que, cent fois, dans les mêmes termes, nous nous entendîmes opposer : — Fort bien, nous disait-on, vous invoquez la tradition, mais quelle tradition ?
Bien que notre force de vénération qui est notre source profonde ne s’arrête pas sur cet obstacle, notre dialectique en a de l’embarras. Aussi regardons-nous avec angoisse Antigone ; nous tremblons pour elle, comme pour Jeanne devant ses juges. Mais soudain, elle prononce la claire parole, elle projette le pur sentiment, elle nous associe à sa générosité naturelle qui nous rassérène et qui volatilise l’objection :
— Je ne suis pas née, dit-elle, pour partager la haine, mais pour partager l’amitié.
Comme une musique soutient un chant, une telle parole, si pleine, nous accompagne et nous assiste à travers les contradictions de l’histoire. Je tiens de ma naissance française d’innombrables affinités, des amitiés, par où j’accorde dans mon