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un silence de recueillement. Les loups étaient moins cruels pour Ronan que ces êtres ; mais Ronan grandissait de toute cette haine. Seul, un homme vêtu de blanc se tenait derrière Gradlon, et priait, les mains étendues, aussi calme, aussi silencieux que celui qu’on jugeait. Mais un frémissement d’indignation passait malgré lui sur son visage. Grand, blond, les yeux clairs, c’était le type du Celte dans toute sa beauté. Son costume indiquait aussi un moine. Tout à leur curiosité ou à leur haine, aucun des assistans ne prenait garde à lui.

Gradlon enfin les arrêta. L’impassibilité de Ronan augmentait, d’instant en instant, ses dispositions mauvaises. Toute son âme farouche se soulevait, étouffait les remords timides. Il rêvait de donner à son peuple un de ces spectacles sauvages, en honneur dans sa terre natale :

— Nous allons en juger, dit-il enfin. J’ai deux chiens furieux que je vais faire lâcher contre l’accusé. S’il est coupable, ils le mettront en pièces et justice sera faite. S’il est innocent, que le ciel le défende !

Kében triomphante eut un cri de joie. Tous s’écartèrent. On entraîna le prisonnier dans un champ fermé d’une palissade. Au passage, l’homme de Dieu se pencha vers un enfant et l’embrassa. On le laissa seul, enchaîné au milieu de la place. Les valets amenèrent les chiens.

C’étaient des dogues énormes, le poil ras, les crocs en avant, grondant sourdement. Quelques femmes s’enfuirent. Gradlon et son peuple, penchés en avant, regardaient, un rire cruel aux lèvres. Le roi pensait : « Si cet homme n’a pas peur, il est plus brave que moi. » Les molosses démuselés bondirent.

Alors l’homme humble et doux se redressa. Ses yeux s’éclairèrent. Il sembla subitement transfiguré. Une force divine passa en lui, fit resplendir son visage. Il leva la main aussi haut que le permettaient ses chaînes. Il traça, lentement, un signe de croix, et d’une voix presque basse :

— Obéissez à Dieu, dit-il.

Les chiens frémirent sous cette parole. Ils baissèrent la tête comme les taureaux indomptés sous le joug de Ronan, là-bas, pour le labeur de chaque jour ; grondant encore, ils léchèrent les pieds nus…

Tout le peuple eut un cri de stupeur. Kében s’enfuit, hurlant des paroles inintelligibles. Gwenc’hlan recueillait par bribes le