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récit du prodige. Gradlon, livide, refaisait machinalement sur lui-même un signe de croix. Pour un moment, la foi de son baptême se relevait en lui au grand souffle du miracle. Et les vieux biographes du saint ont reproduit, à leur manière, les paroles du roi :

— Puissant serviteur de Dieu, ne t’irrite pas contre nous, je t’en supplie. Nous nous sommes follement émus contre toi ; nous t’avons imposé une rude fatigue en te faisant venir jusqu’ici, nous t’avons livré comme un criminel à nos chiens furieux : c’est que nous étions aveuglés par les mensonges de cette femme maudite. Heureusement ta sainteté a réduit la calomnie à néant, et la puissance de Dieu t’a sauvé du supplice.

L’ermite se taisait toujours. Une voix, qui semblait être la voix même de la conscience du roi, s’éleva alors :

— Tu es plus coupable encore que tu ne le dis ! Je t’ai laissé juger mon frère dans le Seigneur parce que je savais que Dieu était avec lui, que Dieu voulait gagner ton âme par ce miracle…

Et l’homme vêtu de blanc, Gwennolé, fils de Fracan, le saint populaire et bien-aimé de l’Armorique, vénéré de tous, semant à pleines mains les miracles ; allant comme un chevalier du Christ partout où il y avait des injustices, des souffrances ou des larmes ; Gwennolé vint en la présence du roi. Son front était sévère. Et lui, si doux aux humbles, si terrible aux puissans, parla pour la première fois au redoutable chef breton :

— Ecoute, roi. On ne se joue pas de Dieu. Les partages honteux attirent sa colère. Tant que tu ne lui as pas donné ton âme, tu ne lui as rien donné. Prends garde ! Si le miracle ne t’éclaire pas, la vengeance de Dieu s’abattra, terrible, sur toi et sur ton peuple. Ce ne sont pas ceux qui tuent le corps qu’il faut craindre, mais Celui qui peut jeter le corps et l’âme dans l’enfer.

Le roi, haletant, voulut répondre. Mais déjà le saint avait repris son bâton de voyageur ; le chevalier errant du Seigneur était remonté sur son cheval, il s’éloignait au bruit des acclamations du peuple, en quête d’autres plaies à guérir.

Gradlon fit approcher Ronan, s’enquit de sa demeure et de celle de Gwennolé, promit d’aller chercher leurs bénédictions et leurs conseils pour la conversion de son âme. La foule entourait Ronan, le pressait de toutes parts, réclamait à grands cris le baptême. Ronan promit de revenir les instruire et les baptiser. Il