qu’il regardait les troncs mystérieux, dont Hésus était l’hôte ; mais en face, les yeux brillans. La légère couche chrétienne craquait sous la poussée sauvage : à lui Hésus et Taranis ! À lui, à lui, Cernunnos, le dieu des chasses furieuses ! Le corps d’un sanglier, et un autre, et un autre, jonchaient le sol en une hécatombe digne d’eux. Ah ! que les vieilles racines étaient vivaces ! Qu’ils étaient dans leurs veines, les cultes défendus ! Comme ces hommes vivaient, comme ils palpitaient à l’aspersion cruelle, et qu’il était loin d’eux, en ce moment, le culte en esprit et en vérité du Dieu humble, patient et doux !
Gradlon s’avançait seul, maintenant, à la poursuite d’un énorme sanglier. Il l’avait acculé à une roche ; mais par une feinte habile, l’animal avait bondi de côté ; il tombait sur Gradlon les défenses en avant, il l’atteignait : c’en était fait du roi si une pierre lancée par une main invisible n’avait blessé la bête au front ; cette diversion suffit pour que le roi pût reprendre son avantage. Il saisit l’épieu à deux mains, l’enfonça avec rage dans le poitrail découvert, et, éclaboussé de sang, il chercha des yeux son sauveur.
C’était le vieillard qui attendait, à la baie de Douarnenez, le passage des âmes, en jetant aux aïeux morts des offrandes de gui et de verveine.
Ses traits étaient ravagés par des années sans nombre ; et Gradlon, interdit, le regardait, ne sachant si c’était une ombre ou un homme.
— Qui es-tu, interrogea-t-il enfin, et comment te trouves-tu égaré dans cette forêt ?
— Je ne suis pas égaré, j’y demeure, répondit le vieillard. Mais depuis longtemps personne ne me connaît plus.
— Es-tu donc le seul de ta génération ? Quel est ton âge ?
— Est-ce que je sais ? Vois ce hêtre ; nous avons grandi ensemble. Il reste debout tandis que je penche. Le père de mon père l’avait planté au jour de ma naissance.
— Il habitait donc aussi cette forêt ? Mais comment pouvait-il y vivre ? Qu’y faisait-il ?
— Il était druide.
Le mot sembla éveiller dans la vieille forêt des échos endormis. Un frisson passa dans les veines du roi comme, la veille, au rêve d’Ahès. Cet homme était le fils de ceux qui résumaient en eux toute l’antique sagesse, qui tenaient dans leurs mains le présent, et l’avenir…