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étaler la morgue et l’humeur tyrannique qui étaient l’autre moitié de son caractère. Mais, au reste, tout ce que nous apprennent de lui les écrivains de son entourage ne vaut point, pour nous le faire connaître, un petit portrait, au crayon relevé de sanguine, que nous a laissé de lui son ami Carmontelle (à Chantilly) ; et encore le portrait ne nous montre-t-il pas l’épaule déviée du baron, ni ses maigres jambes tordues : mais toute son âme vaniteuse et rusée se trahit à nous dans ce visage au front fuyant, aux yeux troubles, au gros nez empâté.

Si Léopold Mozart s’était présenté chez lui quelques années auparavant, ou quelques années plus tard, peut-être n’aurait-il pas été mieux reçu que dans les maisons princières d’où on l’avait éconduit. Mais une heureuse chance faisait que, à cette date de 1763, Grimm venait d’avoir divers ennuis assez graves, qui avaient sérieusement compromis sa situation mondaine, et le forçaient à redevenir, pour un temps, le modeste et obséquieux bonhomme de naguère. Une tentative d’espionnage, tout à coup révélée, et dont la révélation l’avait obligé à sortir de France durant plusieurs mois ; ses démêlés avec Rousseau, où dès lors on entrevoyait l’hypocrisie de son attitude ; ces motifs et d’autres encore avaient un peu modéré sa hauteur habituelle : si bien que, lorsque le maître de chapelle salzbourgeois vint timidement solliciter son appui, dans son bel appartement de la rue Neuve-du-Luxembourg, le « philosophe » lui fit l’accueil le plus amical, écouta très volontiers ses explications, et manifesta sur-le-champ une vive curiosité d’assister aux tours de force des deux enfans prodiges. Et à peine eut-il entendu le petit Wolfgang que, avec son flair de « lanceur » de nouveautés, — car son goût musical était détestable dès que son intérêt n’était pas en jeu, — il devina la nature vraiment exceptionnelle du talent inconnu qui se livrait à lui. Protéger à Paris cet enfant de génie et son brave homme de père, quelle admirable occasion, pour lui, de se faire valoir, d’affirmer à nouveau son autorité et son influence en matière d’art ! « Ce M. Grimm, mon grand ami, à qui je dois tout, — écrivait à Salzbourg Léopold Mozart, — est un homme très savant, et un grand philanthrope… C’est lui, lui seul, qui a tout fait pour nous ! Voyez un peu de quoi est capable un homme qui a de l’intelligence et un cœur sensible ! Allemand de Ratisbonne, il demeure à Paris depuis plus de quinze ans ; et il s’entend si merveilleusement à engager