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réciter des vers, chanter des couplets, imaginer des jeux de société, improviser et mettre vite en scène d’aimables proverbes. Mais surtout il excellait à dessiner le portrait : à le dessiner et même à le peindre, car, après s’être longtemps contenté de croquis au crayon rehaussés de sanguine, il avait commencé, depuis quelques années, à représenter ses modèles dans des décors, et en coloriant son dessin à la gouache ou à l’aquarelle. Il ne se risquait jamais, en vérité, à les représenter autrement que de profil ; et toujours, malgré cette précaution, il y avait dans ses portraits une certaine gaucherie qui dénonçait l’amateur : mais à un don de ressemblance que tous ses contemporains s’accordent à louer il joignait le don, plus enviable encore, de saisir immédiatement le caractère des personnages qui posaient devant lui. Pendant la guerre, — où il avait accompagné en Allemagne, comme aide de camp, le lieutenant général de Pons-Saint-Maurice, — ses principales occupations avaient été, au témoignage d’un de ses amis, « de relever des plans dans la dernière perfection, de découper savamment la dinde de son général, et de dessiner la Caricature de tous les officiers de quatre régimens. » Puis, en 1763, à la conclusion de la paix, le comte de Pons, qui était aussi gouverneur du duc de Chartres, l’avait fait entrer au Palais-Royal, où ses modestes fonctions de « lecteur » de ce jeune prince lui laissaient amplement le loisir de poursuivre la série de ses « caricatures. » Il habitait là, au premier étage, une chambre spacieuse et claire, donnant sur le jardin, et contenant, avec d’autres accessoires, un long clavecin noir tout bordé de jaune, qu’il ne manquait jamais d’introduire dans ses aquarelles, chaque fois qu’il avait à représenter un compositeur, une cantatrice, ou simplement une jeune demoiselle qui cultivait la musique.

Et c’est là que, l’un des premiers jours de décembre, Grimm, — qui venait d’envoyer à ses princes allemands un éloge enthousiaste des portraits de Carmontelle, — amena à celui-ci Léopold Mozart et ses deux enfans : afin que leur portrait, reproduit ensuite par un bon graveur, servît en quelque sorte à consacrer la renommée des petits prodiges. Les trois modèles avaient revêtu, pour la circonstance, leurs plus beaux costumes. Le père était en habit et culotte de velours rouge, — presque la tenue officielle de Saint-Cloud ; — la fille, en robe blanche montante, à ramages de fleurs ; le fils, un vrai « petit homme, » avait un