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manière certaine : mais plusieurs passages des lettres du père nous inclinent à le croire, comme aussi le fait que, de l’aveu même de Léopold, ces cinquante louis ont été l’unique rémunération que les Mozart aient reçue de la Cour, avec « une tabatière d’or, don particulier du Roi[1]. »


Il y avait alors, à Versailles, quatre princesses qui aimaient la musique, et s’occupaient volontiers de protéger les musiciens : la Reine, la Dauphine, Madame Adélaïde, et Madame Victoire. La Reine, dans sa jeunesse, à Wissembourg, avait mis une vraie passion à apprendre tous les instrumens, et souvent ensuite, à Versailles ou à Trianon, elle s’était fait donner des concerts presque pour elle seule ; mais, à présent, les maladies, les chagrins, et un certain engourdissement d’âme qui lui était venu en vieillissant, sans pouvoir aucunement refroidir l’ardeur juvénile de sa charité, avaient fini par la rendre indifférente à toute autre forme de plaisir que son cher cavagnol. La Dauphine, de son côté, femme de l’esprit le plus fin sous ses dehors un peu lourds, excellente musicienne, et qui aurait été plus capable que personne de goûter le génie du petit Mozart, s’en trouvait empêchée, à ce moment, par la douleur de son double deuil, où s’ajoutaient peut-être encore les fatigues d’une grossesse difficile. Tandis qu’au contraire Mesdames, et notamment les deux aînées, étaient plus infatigables que jamais dans leur fièvre de mouvement et de curiosité, chacune y montrant, avec cela, sa nature propre : Madame Adélaïde, plus intelligente et mieux douée, mais fantasque, personnelle, toujours désireuse surtout de se faire valoir ; Madame Victoire, avec moins de brillant, l’obligeance, la douceur, et la bonté mêmes. Charmante princesse, comme nous la préférons à ses sœurs, dans les portraits, malgré sa taille trop courte et l’air abandonné de sa grosse figure ! Et pareillement la préféraient tous ceux que leur naissance ou leur profession amenaient à vivre dans la familiarité de Mesdames Royales, grands seigneurs et domestiques, diplomates et artistes. Les musiciens, en particulier, s’ingéniaient à lui témoigner leur reconnaissance d’une sympathie qu’ils sentaient, chez elle, bien plus

  1. Une petite notice publiée, le 5 mars 1764, dans l’Avant-Coureur, et probablement écrite par Grimm, affirme que les deux enfans « ont eu l’honneur de jouer devant Mgr le Dauphin, Mme la Dauphine, et Mme de France. » Si le Roi et la Reine avaient assisté à la séance, la notice n’eût point manqué d’en faire mention.