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après en avoir négligé quelques autres. M. Balfour venait de prendre la parole à Newcastle, pour prêcher avec insistance la concorde entre les unionistes : il la jugeait avec raison indispensable à la solidité déjà ébranlée du parti, et encore plus à celle du ministère. Mais la concorde, la conciliation, la cohésion, M. Chamberlain n’en voulait plus ! Il la recommandait encore lui-même, il n’y a pas longtemps, par des déclarations dont le souvenir trop récent aurait pu embarrasser un autre que lui ; mais ce sont là choses dont il ne s’embarrasse guère ; nul homme d’État anglais ne néglige plus les transitions. Au discours de M. Balfour à Newcastle il a répliqué avec sa coutumière énergie d’accent. « Il faut, a-t-il dit, une politique d’action. Vous ne devez pas tolérer que la minorité timide et sans courage de votre parti vous démonte et vous affaiblisse, Aucune armée n’a jamais été victorieusement conduite au feu quand elle a confié sa direction au plus infirme. Je dis qu’il ne faut pas marcher au combat avec une épée émoussée, uniquement pour satisfaire les scrupules de ceux qui tiennent surtout à ne pas se battre. »

Il y a dans ce morceau un luxe de vigueur qui n’était peut-être pas indispensable à M. Chamberlain pour se bien expliquer ; mais il ne fait pas les choses à demi. Le tort impardonnable de M. Balfour, — impardonnable aux yeux de M. Chamberlain, — est de n’avoir pas accepté intégralement son programme fiscal, son grand projet de protectionnisme impérialiste, tandis que son tort aux yeux de quelques autres, et même de beaucoup, est de l’avoir accepté en partie, au risque de créer une équivoque qui ne donne à personne une salis-faction complète. Sans doute, en prenant cette attitude intermédiaire, M. Balfour a prolongé la durée de son ministère ; il a retardé l’agression à laquelle M. Chamberlain vient de se livrer contre lui ; mais c’est probablement le seul avantage qu’il a retiré d’une tactique dont son ancien collègue, devenu son adversaire, a dénoncé avec tant de dureté le caractère un peu flottant. Nous ne reviendrons pas aujourd’hui sur le dissentiment qui s’est produit entre M. Chamberlain et M. Balfour : les élections prochaines, en mettant au premier plan la question fiscale, nous donneront l’occasion naturelle d’en parler de nouveau. Pour le moment, le fait saillant est la rupture entre les deux hommes, c’est-à-dire le déplacement de la majorité parlementaire. Le ministère actuel a débuté après les élections dernières, sous l’égide de lord Salisbury, avec la plus écrasante majorité qu’il y ait eu dans l’histoire de l’Angleterre : qu’en reste-t-il maintenant ? Il est difficile de croire que cette catastrophe ne soit pas due, en partie, à