Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/732

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
726
revue des deux mondes.

ses deux yeux, et, dans sa bouche entr’ouverte, trente-deux dents.

Certes, ce fut un beau spectacle, quand ces buttes furent éventrées. Mais l’émouvant, c’était de les imaginer pleines et puis de les ouvrir. Avec la réussite, tout le jeu est fini. J’arrive pour que l’on me dise : « M. Schliemann s’est bien amusé ! » M. Schliemann, soit. Mais moi ? Le chercheur emporta la truffe.

Au départ, quand on imagine un tête-à-tête avec l’antique Mycènes, on s’assure qu’il sera fécond : sur les lieux, l’imagination reste bête. Sans doute on peut noter l’accord de ces ravins desséchés et des légendes sinistres qui les peuplent. Un tel site semble prédestiné pour servir d’aire à une nichée de grands scélérats ; ces solitudes retentissent encore des imprécations d’Oreste et des cris de sa mère sous le couteau. Je n’en disconviens pas. Mais tout de même, je méprise beaucoup ces pensées qui font l’enfant, et qui, ne soupçonnant pas le plaisir supérieur de voir clair, s’attardent dans l’esthétique du beau crime et la poésie du maudit.

À Rodez, dans l’Aveyron, subsiste encore la sinistre maison Bancal où Fualdès fut assassiné ; elle garde la plus mauvaise physionomie, une atmosphère de grand mélodrame, bien que la musique des deux vielles se soit tue avec les gémissemens de l’ex-accusateur public qu’on saignait comme un pourceau sur une table. J’ai suivi, par un soir de pluie, de la rue des Hebdomadiers jusqu’au bord de la rivière, la route où Bastide le gigantesque et Jausion l’insidieux menèrent le cortège du cadavre. J’y goûtai fort congrûment des impressions de terreur. J’avais tout de même un souci plus riche ; c’était d’étudier s’il y eut quelques dessous politiques à ce fameux mystère criminel. Mais quelle excuse d’être venu jusqu’à Mycènes, déterrer les rois et soulever le masque que leur mirent les vieux batteurs d’or, si nous ne savons rien obtenir d’eux qui ajoute à notre poids ?

Depuis ce burg de Mycènes, où régnèrent Agamemnon et ses vassaux, je distingue le château franc qui couronne la montagne d’Argos ; et j’imagine que ces deux féodalités doivent peu de chose aux lieux qu’elles étonnèrent en s’y épuisant. Ce sont deux colonies que leurs mères patries cessent un jour de ravitailler. Les flots ont jeté dans cette Argolide ouverte largement à la mer