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Au bout d’un quart d’heure, Georges s’étant aperçu qu’une terrasse de la maison dominait le jardin du ministre de France, espéra d’y trouver un asile inviolable. Tous trois sautèrent de la terrasse dans le jardin. Le baron Rouen, accouru sur le bruit, les rencontra dans son escalier. Georges Mavromichalis prononçait une suite de mots entrecoupés : « Honneur… Patrie. » M. Rouen, devant le personnel de l’ambassade, lui demanda d’abord de se désarmer. Georges ôta son pistolet de sa ceinture, le baisa et dit :

— Je le livre à l’honneur de la France.

Nauplie, d’un seul élan, se prononçait contre les Mavromichalis. On avait fermé les portes de la ville. Les troupes de la garnison se mutinaient pour aller venger le sang du président. Elles ne s’apaisèrent un peu qu’après avoir obtenu la démission du général Gérard, Français et, par là, suspect de libéralisme. Un Portugais, lui fut substitué. Sur les sommets des montagnes, les bergers sonnaient de la corne ; ils donnaient l’alarme aux bergers plus lointains, comme ils faisaient jadis pour annoncer les Turcs : « Frères, mettez en sûreté vos troupeaux. » Au parvis de Saint-Spiridion, la foule, avec des tampons de coton, se pressait pour recueillir le sang du martyr. Son corps, rapporté dans le modeste palais présidentiel, avait été remis aux pleureuses qui le lavaient en même temps qu’elles lamentaient les chants funèbres, ainsi qu’il est déjà raconté dans la dix-huitième rapsodie de l’Iliade :

« Ces chiens, disaient-elles, ces hommes sans religion ni conscience sont parvenus à le tuer. Désormais, qui nous protégera ? Où trouverons-nous un autre président, si bon, si doux, si patient, si amoureux du peuple ? Jusqu’à ce moment nous dormions tous tranquillement chez nous, parce qu’il y avait maître Jean qui veillait. Malheureuse Grèce ! tu vas être de nouveau la proie de nos notables. »

Cette plainte est intéressante ; elle marque comment les notables avaient vu dans la révolution un moyen de substituer leur tyrannie à celle des Turcs. On y vérifie en outre que dans tous les climats, les notables, les féodaux, les chefs de clientèle tendent naturellement à réclamer le parlementarisme, tandis que les petites gens se ramassent autour du pouvoir autoritaire.

M. Rouen qui avait de l’honneur, — et qui représentait la France libérale de Louis-Philippe, — n’avait pas voulu livrer le