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un voyage à sparte.

gloire à son second. Cette Grèce, où nous venons prendre des leçons de classicisme, a fourni plus qu’aucun lieu des couleurs au romantisme. Même aujourd’hui qu’en apparence elle s’est expurgée, elle garde un fond de fièvre mal assoupie. Et voici un thème bizarre qu’en revenant sur Tripoli, elle me suggérait de broder.

Quand les Grecs de Colocotroni prirent la ville d’assaut, en 1821, ils massacrèrent toute la population turque, hors les femmes du vieux Kourchid-pacha, gouverneur de la Morée. Les jeunes vainqueurs s’amusèrent avec ces personnes d’un charme sauvage, qui en eurent elles-mêmes du plaisir. Mais leur rachat ayant été conclu par traité, elles furent rendues à Kourchid. Il les fit coudre dans des sacs et jeter à la mer. Si l’on savait donner des âmes variées et vraisemblables à tous les personnages de ce drame brutal et même aux brutes qui cousirent les sacs, on aurait une belle occasion de produire toute la gamme qui va de la volupté à la cruauté.

Ce ne sont pas les ombres de ces belles hurleuses qui, en mai 1900, visitèrent mon sommeil. Vers les cinq heures du matin, je me levai d’entre les punaises.

Soixante kilomètres d’une route excellente séparent Tripoli de Sparte. Je fis un détour de deux lieues pour visiter la cathédrale de Palseo Episcopi, seul reste de la ville de Nicli, dont Geoffroy de Villehardouin, au XIIIe siècle, fit une baronnie, et qui repose sur l’emplacement de l’antique Tégée.

Dans un paysage herbeux, à travers une grande plaine cerclée de montagnes puissantes et semée de moulins à vent ou de petites villes peu distinctes sur des vallonnemens, j’atteignis mon église. Je reconnus dans ses murs plusieurs fragmens de bas-reliefs et de colonnes de marbre, puis un pappas m’introduisit dans le dôme central, flanqué de quatre petits dômes. De là, je poussai jusqu’à la bourgade voisine qui se nomme Piali.

On y conserve un bas-relief de marbre, un lion de grandeur naturel, que les manuels affirment l’un des plus remarquables morceaux de la sculpture grecque. Nous ne pûmes pas d’abord obtenir la clé. Celui qui la garde était absent. Il fallut nous asseoir patiemment sur les pierres turques qui protègent le puits. Hercule aussi s’est attardé au puits de Piali, mais il y violait Auge, prêtresse d’Athéna. C’est une bonne manière de tuer le temps. Le chœur grec s’était formé autour de nous et je