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compris dans cette journée combien ce personnage du théâtre ancien est pris dans la vérité locale. Ces raseurs, au nombre d’une vingtaine, m’entouraient ; un seul parlait et tous l’approuvaient de la tête. Le chœur disait :

« Ô étranger, ne t’impatiente pas. Tu veux voir le lion qui est admirable. Il est vraiment derrière cette porte fermée, et cette fermeture même te prouve combien ce lion est un objet précieux. »

Une vieille m’apporta une fleur ; cette attention et la fleur furent célébrées en termes hyperboliques par le chœur :

« Voilà comme nous sommes, nous, les antiques descendans de ces Tégéates que tu es venu admirer de fort loin, car tu n’es pas une bête et tu sais notre supériorité ; aussi tu t’empresses de donner une piécette à cette excellente vieille et tu trouveras encore l’occasion de nous en donner. Ce qui te prouve que tu as tort de t’impatienter si la clef tarde à venir. »

Des enfans assez gentils passèrent avec des ardoises, où, sans doute, on les dressait à écrire les hauts faits des Tégéates. Le chœur nous les montrait avec orgueil. Je n’ai jamais vu qu’un bébé de quatre ans, et qu’on gâte, pour s’émerveiller de soi-même aussi naïvement et, je dois le dire, aussi sincèrement que fait cette nation. Parmi ces gens qui nous entouraient, il y a de gros Turcs aisément reconnaissables, mais, s’appeler des Grecs, cela transforme un peu le sang. Enfin, après plus de temps qu’il n’en fallut, je ne dis pas à Hercule, mais à sa prêtresse violée pour engendrer leur fils Télèphe, on m’ouvrit une sorte d’écurie obscure au fond de laquelle gisait le chef-d’œuvre.

Le chœur entré avec moi me boucha complètement la lumière…

Une fois de plus, j’avais fait tout un voyage pour abandonner, sur un dernier obstacle, ma curiosité. Et détourné par mon impatience de ce lion, que je voudrais aujourd’hui revoir, je n’attendais plus rien, sous la chaleur grandissante, que de Sparte ; je la réclamais, à peu près de la même manière qu’un dîneur sans appétit, au restaurant, réclame « la suite. »

Au sortir de la Tégéatide, vaste plaine de belle culture où nous avions longuement couru, la route gravit la montagne qui devient rapidement pierreuse. Nous dominions le marais de la Taka, d’une couleur chocolat. À distance, la Grèce, c’est immuablement des lignes pures sous un ciel bleu. Souvenir, sans doute.