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des ruisseaux de cristal qui chantaient, dans la forêt, sur les mousses.

Rhuys la regardait, grave et tendre. Elle continua :

— Ne t’étonne pas si je peux parler ainsi. Il y a derrière moi des années de silence. Ce que je dis est à toi seul ; lorsque je t’ai quitté, je me tais de nouveau, comme toi maintenant.

— Ah ! par le encore ! supplia-t-il avec l’angoisse du condamné qui boit une à une les dernières gouttes de la vie.

Elle reprit avec une joie d’enfant :

— Rhuys ! dans deux semaines ! As-tu bien compris ? Et alors…

— Alors tu me diras : « Je viens, » répéta encore Rhuys.

— Oh ! Rhuys ! pour la vie et pour la mort !

— Pourquoi parles-tu de mort ? demanda-t-il.

— Je ne sais, répondit-elle. Les bardes chantent : « L’amour est frère de la mort. » Je le crois. On ne sait rien avant d’aimer. Peut-être aussi on ne sait rien avant de mourir.

— Tu n’aurais pas peur de mourir ?

— Oh ! pourquoi ? interrogea-t-elle étonnée. Personne n’en a peur autour de moi. Seulement, à présent, il faut que ce soit avec toi.

— Cela me semble si étrange de t’entendre dire des paroles éternelles, murmura-t-il. Tu es si jeune !

— Qu’importe à quel point de la route on rencontre son destin ? répondit-elle. Comme chante Gwenc’hlan, que ce soit le soir, que ce soit le matin, le sort des deux est venu.

Il y eut un silence. Rhuys pensa qu’il remettait, sans lui en rien dire, sa vie et sa mort entre ses mains :

— Tu m’aurais donc aimé toujours ? questionna-t-il.

— Toujours ! reprit-elle avec ferveur. Ai-je su si tu étais vaincu et captif ? On va où la destinée vous pousse.

— Et si j’avais fui devant la mort, même pour toi ?

— Est-ce que tu aurais pu fuir, toi ? dit-elle avec un sourire d’orgueil. Tu ne voudrais pas que je te dise : oui ! Pas plus que tu ne m’aurais aimée si j’étais de celles qui donnent et reprennent leur cœur.

Elle aussi donc jugeait que se sauver de la mort n’était pas d’un homme. C’était la dernière lumière qui s’éteignait ; et cependant il l’en aima davantage… Il faut des siècles de folle vaillance pour former ces caractères indomptables, pour donner aux âmes ce sens de l’honneur.