Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les a trahis. Ils n’ont pas pu s’empêcher de faire quelques phrases oratoires dans lesquelles ils ont mis en opposition la science et la foi, et annoncé qu’à la fin du combat qui ne manquerait pas de se perpétuer entre elles, la première l’emporterait décidément sur la seconde et la supprimerait. M. Vallé, président de la commission, a même un jour exprimé cette pensée sous une forme pittoresque. M. Bérenger venait de plaider la cause des édifices religieux dont quelques-uns, dans les paroisses petites et pauvres, seront condamnés à la ruine s’ils ne peuvent bénéficier pour leur conservation que des ressources des associations cultuelles, et si les communes ne sont pas autorisées, puisqu’elles en restent d’ailleurs propriétaires, à pourvoir partiellement à leur entretien. La commission a repoussé la thèse, pourtant si juste, de M. Bérenger, et son président a terminé son discours à ce sujet par les paroles suivantes : « Les églises ne périront que si les fidèles viennent à manquer ; c’est alors seulement qu’on pourrait dire adieu aux cloches dont M. Bérenger, a parlé avec tant d’attendrissement. Longtemps encore on entendra le son des cloches des églises ; mais si elles se taisaient parce qu’il n’y aurait plus de paroissiens à appeler au temple, que voulez-vous, messieurs, on entendrait la cloche de l’école appelant les enfans près de l’instituteur, et on se consolera en pensant que plus nos écoles seront suivies, plus il y aura de profit pour notre pays. » M. Vallé se consolera ; il est déjà même tout consolé ; mais tout le monde ne le sera peut-être pas aussi aisément que lui si les cloches de nos églises viennent à se taire pour toujours. M. Vallé abolit tout un côté de l’âme humaine. Nous ne l’imiterons pas ; nous ne mettrons pas en opposition et en conflit l’école et l’église. On peut prendre un plaisir différent, mais très réel dans les deux cas, à entendre les cloches de l’une et de l’autre ; elles correspondent à des besoins qui, pour être d’une autre nature, n’en sont pas moins également légitimes. Que penserions-nous d’un rapporteur du budget des cultes, s’il y en avait encore un, qui viendrait dire à la Chambre ou au Sénat : Qu’importe qu’on n’entende plus les cloches des écoles, pourvu qu’on entende encore celles des églises ? Nous en penserions exactement ce que nous pensons de M. Vallé, lorsqu’il tient en sens inverse un langage analogue. Un poète a dit autrefois, en parlant de deux conceptions différentes du monde et des institutions qu’elles engendrent : « Ceci tuera cela. » Eh bien ! ce mot prophétique ne s’applique pas à l’école et à l’église, à la raison et à la foi. L’une et l’autre sont nécessaires et il n’est pas vrai que l’une tuera l’autre. Le mieux est qu’elles se résignent à vivre