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quinze jours. Depuis ce moment, ce qui était encore au futur est déjà tombé dans le passé. La séparation est faite, le Concordat est déchiré. Nous entrons dans une nouvelle période de notre histoire, plus inquiétante encore pour l’État que pour l’Église. Soit ! On ne saura pas encore aux élections prochaines, mais on saura dans quelques années ce que valait le Concordat.


La Chambre des députés discute, le matin, les retraites ouvrières, l’après-midi, le budget, et tous les vendredis, une interpellation à n’en plus finir sur l’idée de patrie et sur le degré d’estime qu’elle mérite auprès des gens éclairés. Cette dernière discussion fera l’étonnement des siècles futurs, qui en admireront surtout la merveilleuse opportunité. Mais les socialistes l’ont imposée à la Chambre. A les entendre, toutes les idées, quelles qu’elles soient, doivent être soumises à l’analyse, tomber sous le scalpel de ce qu’ils appellent la raison, et subir en public une autopsie et une dissection qui permettent au peuple de mieux savoir ce qu’elles contiennent de vrai ou de faux, de bon ou de mauvais. Pourquoi, demandent-ils, l’idée de patrie ne serait-elle pas soumise à la loi commune ? Ils l’y soumettent donc, et, à force de la décomposer, il n’en reste bientôt plus entre leurs mains qu’un résidu inerte et mort. Si on s’en inquiète, si on s’en indigne, ils montrent à leur tour de l’irritation et même quelque étonnement, car enfin, disent-ils, il n’y a de droits dans ce monde que ceux de la critique et il faut remplacer partout la foi aveugle, sauvage, — M. Jaurès dit même volontiers bestiale, — par la raison éclairée, épurée, éthérée. Bien qu’elle soit un signe, et un triste signe des temps, nous ne parlerions pas aujourd’hui de cette discussion qui a déjà rempli plusieurs séances, mais qui n’est peut-être encore qu’ébauchée, si elle n’avait pas donné lieu à un incident de plus haute portée que les autres. M. Sembat l’a fait naître. C’est un orateur qui ne recule devant aucune conséquence de ses principes. Il change quelquefois de principes, jamais de logique. Avec lui, on sait tout de suite à quoi s’en tenir sur ses opinions : son outrance naturelle ne lui permet pas d’en farder l’expression. Ainsi, M. Ribot lui ayant demandé s’il approuvait que les soldats tirassent sur leurs officiers, il a répondu tout de suite que oui, si les officiers ordonnaient eux-mêmes de tirer sur le peuple. Ces choses-là passent aujourd’hui à la Chambre comme de l’eau courante. Elles provoquent bien, sur le moment, quelque scandale ; mais bientôt on n’y pense plus.

Dans son discours, M. Sembat a jugé à propos de parler de la