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ne prévoyaient que l’épaisseur des tôles d’un pont ordinaire.

Aux innovations proposées en 1891, qui ont été réalisées dix ans plus tard sur les cuirassés type Patrie, en était jointe une autre que la Patrie n’a pas reproduite. C’est la protection contre la torpille automobile, dont l’apparition du premier sous-marin, le Gymnote, faisait prévoir, dès 1890, la nécessité prochaine. La disposition de blindage imaginée à cet effet a été très exactement appliquée plus tard au Cezarewitch par les chantiers de la Seyne.

Plusieurs projets complets de cuirassés furent préparés dans ces conditions en 1891. Ils se ressentaient plus ou moins de la gêne d’une limite de déplacement de 12 000 tonnes, à laquelle les programmes s’attachaient aveuglément depuis plus de dix ans et qui était en contradiction absolue avec la réalisation d’une bonne puissance défensive associée aux autres conditions imposées. Le dernier de ces projets, dans lequel je m’étais affranchi de cette entrave, atteignait 14 000 tonnes ; il est bien le prototype des cuirassés type Patrie ; il ne fut terminé qu’au commencement de l’année 1892, et ne put, en raison des circonstances, être présenté au ministère que sous une forme officieuse.

Les projets de 1891 eurent le même sort que jadis celui de 1872. Ensevelis pendant le même laps de temps, ils ne ressuscitèrent qu’après le signal de l’étranger. Les motifs d’accueillir avec confiance les innovations proposées, de les approuver sans retard, de les appliquer avec célérité, étaient cependant bien plus probans et plus graves qu’en 1872. Il est juste de dire que le Conseil des travaux fut divisé et hésitant. Le ministre se montra perplexe. Le chef d’état-major garda la décision envoyée à son visa, et tint à laisser à son successeur, qui s’exécuta en bon soldat devant une consigne, le soin d’expédier la dépêche dont les termes ne me permettaient pas d’envoyer officiellement mon travail définitif.

L’échec venait du côté du chiffre du déplacement, au sujet duquel l’opinion était très divisée et déroutée dans la marine, tandis qu’un accord unanime était établi, assurait-on, dans le Parlement. La presse suivait l’opinion du Parlement, ou l’inspirait. À permettre l’addition de 100 tonnes, aux 12 000 concédées, un ministre se serait cru exposé à recevoir le lendemain son diplôme d’éleveur de mastodontes, sans motif, d’ailleurs, à l’appui d’un qualificatif si désobligeant. Il eût donc