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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/137

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les navires non blindés, si puissante que pût être leur artillerie. Un changement de service m’obligea à interrompre cette étude, en en confiant la poursuite à un ingénieur expérimenté, qui avait su faire des croiseurs simplement médiocres, d’après des programmes éminemment défectueux, mais que cette espèce de sauvetage des erreurs officielles savait seul intéresser. Le projet resta tel que je l’avais laissé, une ébauche faite sur des données heureusement exactes. Les choses en étaient là, quand, en 1895, une crise d’excitation succédant à une période de somnolence, des rivaux furent réclamés au Powerful et au Terrible qui se terminaient en Angleterre, avec vingt-deux nœuds de vitesse. Les grands croiseurs surgissaient un peu partout, avec le Rurik en Russie, le New-York et le Brooklyn aux États-Unis. Nous n’avions rien de prêt, sauf les plans d’une Jeanne d’Arc, genre D’Entrecasteaux, de dix-neuf nœuds, plans qui faisaient depuis longtemps la navette entre Paris et Toulon où on les renvoyait pour retouches. La besogne manquait depuis plusieurs mois à Toulon, où les ouvriers, disait-on, arrachaient l’herbe autour des chantiers déserts. Le travail de Rochefort fut exhumé et jugé utilisable. Le modèle des chaudières fut changé, la chambre des machines un peu allongée, le blindage intérieur contre les torpilles supprimé ; cela donna l’espace et le poids pour un vingt-troisième nœud possible. Un léger remaniement dans la répartition de l’épaisseur des plaques permit d’utiliser le harvéyage, qui exigeait alors quinze centimètres d’épaisseur. Le plan des formes ne fut même pas refait. Au bout d’un mois, le tracé à la salle était en main et les premières commandes de matériaux préparées. On prévoyait qu’on en pourrait faire l’essai au bout de trois ans. Telle est l’histoire de la Jeanne d’Arc, qui compte aujourd’hui de si nombreux similaires en France et à l’étranger. Son système défensif a été exactement reproduit sur tous nos croiseurs, et ensuite sur tous nos cuirassés, sauf le Henri IV.

Il eût été naturel de mettre en chantier, en même temps que la Jeanne d’Arc, son ancêtre direct, le cuirassé du futur modèle Patrie, mais, dès qu’il en fut question, au commencement de 1896, la difficulté du déplacement surgit à nouveau. Les factions n’avaient pas désarmé depuis 1891, et, la passion s’en mêlant, tout le monde ayant pris parti, il restait peu de place au simple sens commun. L’école favorable aux gros déplacemens eût été la plus puissante, si elle eût voulu admettre les motifs qui lui