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hommes compétens et celui des donneurs d’avis pourrait-elle aujourd’hui s’exprimer en centièmes ? C’est douteux. Que de gens auraient à faire leur examen de conscience, au sujet de ces erreurs, qui ont trop duré, sur le déplacement nécessaire au cuirassé de ligne et au croiseur de combat ! Que de gens ont parlé, écrit, opiné et même voté à l’aveugle ! Dans le déluge des dissertations, critiques, louanges et propositions, où voit-on surnager une œuvre sérieuse ? Où trouver des vues un peu pénétrantes sur les qualités qui font les bons navires de mer et de combat, et sur les moyens d’associer les nouvelles exigences militaires aux nécessités permanentes de l’architecture navale ? Les quelques pages où l’amiral Mottez a manifesté sa clairvoyance sont déjà loin. La science « paie » mal ; l’art d’avaler gracieusement des couleuvres rapporte davantage. On aperçoit surtout aujourd’hui l’impuissance au travail, qui met les polémiques personnelles à la place des discussions réelles ; les partis pris obstinés ; l’habitude, qui s’enracine, de se contenter des à-peu-près, sans oser pénétrer au fond des choses.

Nos procédés, en matière de publicité ou plutôt de publication, sont, il faut le reconnaître, peu d’accord avec les institutions qui nous régissent. En créant au XVIIIe siècle, époque où la marine semblait immuable, une sorte de régime parlementaire de commissions et de conseils échelonnés, de même qu’en acceptant plus récemment l’opinion courante comme souveraine maîtresse, on a négligé de préparer à leur tâche les futurs membres des conseils et d’éclairer les organes de l’opinion. J’ai eu un jour occasion, en traitant de la renaissance si rapide de la marine aux Etats-Unis, de signaler comment, dans ce pays, tout se publie, même les plans détaillés des navires de guerre, surtout les rapports techniques des chefs de service, et cela dans l’unique dessein de satisfaire la curiosité du contribuable, car l’autorité est plus centralisée que nulle part, aux mains du secrétaire d’Etat. En France, sans faire de grands mystères, nous répandons très peu, même dans la marine, la connaissance des rapports, des projets, des discussions, des décisions ; ensuite, n’ayant instruit personne, nous prenons l’avis de tout le monde. Il y a là une contradiction. Les Etats-Unis pourraient très bien vivre avec nos institutions ; nos usages s’accommoderaient mieux de l’autorité concentrée des États-Unis.

Sur ce point, cependant, comme sur d’autres, les institutions,