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évidemment pas développées par le narrateur avec autant de complaisance que celles des scènes ou des monumens merveilleux ; on sent qu’il croit ces sujets humbles moins dignes de son effort ; mais il les traite toujours avec aisance et netteté, avec une grande justesse de touche, et la brièveté qu’il apporte à ce genre de descriptions, pour être un peu dédaigneuse chez lui, n’en est pas moins à nos yeux un mérite. Que l’on remarque par exemple ce petit tableau extrait de la traduction de Mardrus : « Le khalife Haroun al-Rachid était un jour sorti de son palais en compagnie de son vizir Djafar et de Mesrour, son porte-glaive, tous deux déguisés, comme il l’était lui-même, en nobles marchands de la cité. Il était déjà arrivé avec eux au pont de pierre qui unit les deux rives du Tigre, quand il vit, assis à terre sur ses jambes repliées, à l’entrée même du pont, un aveugle d’âge très ancien qui demandait l’aumône par Allah aux passans sur la route de la générosité. Le khalife s’arrêta dans sa promenade devant le vieil infirme et déposa un dinar d’or dans la paume qu’il tendait. » — Et cet autre : « Un jour, comme j’étais assis dans ma boutique, avec une corde de chanvre attachée à mon orteil et que j’achevais de confectionner, je vis s’avancer deux riches habitans de mon quartier, qui avaient coutume de venir s’asseoir sur le devant de ma boutique, pour m’entretenir de choses et d’autres en respirant l’air du soir. Ces deux notables de mon quartier étaient liés d’amitié et aimaient à discuter entre eux, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, en égrenant leur chapelet d’ambre. » Il est impossible de choisir avec plus de bonheur le détail caractéristique et pittoresque. La précision est au reste une qualité de l’esprit arabe que les orientalistes connaissent bien, mais que le grand public ignore. C’est grâce à cette qualité, permanente sous toute leur fantaisie, que les conteurs arabes ont pu se livrer, tout en restant clairs et, en général, assez consciens de la mesure, à des excursions de l’imagination dans lesquelles des écrivains d’autres races, des Persans et des Indiens, pour ne mentionner que des Asiatiques, se seraient sans aucun doute égarés.


IV

Le merveilleux des contes est divers, et multiples en sont les procédés. On voit d’abord une troupe de personnages singuliers,