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probable qu’il a dû exister un recueil spécial de ces histoires de conversions. Néanmoins, celles-ci ne représentent pas l’esprit général du recueil des Mille et une Nuits ; elles y sont plutôt déplacées. Il est incontestable qu’il règne dans ce dernier livre un esprit fort peu inquiet des dogmes musulmans, et qui, de même que celui qui se dégage des fables de Loqman et d’Esope, est positif, pratique, moyen, ennemi des entreprises hardies, aussi longtemps du moins qu’elles n’ont pas réussi, médiocrement porté au dévouement et peu capable d’enthousiasme. Nous n’avons pas affaire ici à une morale religieuse, mais à la morale naturelle, à la sagesse des nations. On trouve peu de fatalisme dans les contes ; ce sentiment est beaucoup plus apparent dans l’histoire musulmane. Les personnages de cette histoire sont plus profondément possédés par le sentiment du fatalisme, plus dominés en général par les thèses morales de l’Islam, que ne sont ceux des contes. Ceux-ci, libres, peu scrupuleux, légèrement sceptiques, font preuve tout au plus d’une certaine résignation à la fortune, qu’ils ne considèrent pas d’ailleurs comme étant toujours juste, ni comme étant forcée par la nécessité de récompenser toujours en définitive le bien et de punir le mal, comme elle le fait dans nos contes occidentaux. Les conseils de modération sont fréquens dans les Mille et une Nuits. Nour-ed-Din sur son lit de mort, en donne de tels à son fils ; il lui recommande de se réserver pour lui-même, de ne pas se communiquer facilement, de supporter les injures, de n’être pas violent, de ménager ses biens sans cependant en être avare. La fable de La Fontaine, Perrette et le Pot au lait, cette piquante leçon de sagesse qui nous apprend à refréner notre imagination et à graduer nos espérances, se retrouve sous une autre forme dans l’histoire du pauvre Alnachar qui, ayant hérité de cinq cents drachmes, et en ayant acheté quelques verroteries qu’il se dispose à vendre pour mille drachmes, imagine toute une suite de marchés aussi fructueux, et déjà se voit si grand seigneur qu’il peut repousser d’un coup de pied son épouse le suppliant d’accepter de sa main un gobelet de vin ; il donne dans la réalité le coup de pied à son rêve et brise toute sa marchandise. L’économie est recommandée souvent, soit par des paroles, soit par des exemples. Le jeune homme riche que ses parens laissent seul à Damas pour lui épargner la fatigue d’un voyage en Égypte, « commence par avoir grande attention de ne pas dépenser son argent inutilement. »