Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on le prie de porter sont adressés à la favorite du khalife ; la coquette, cette belle jeune fille qui écoute avec plaisir sa confidente tant qu’elle ne lui parle que du mal que sa beauté a fait, et qui la rebute dès qu’elle l’engage à le guérir ; les faux amis, ceux de ce Nour-ed-Dîn dont nous parlions tout à l’heure, qui lui ferment leur porte après l’avoir aidé à dissiper son bien ; le haineux, ce vizir perfide qui cherche à presser l’exécution de son ennemi, ce même Nour-ed-Dîn, injustement condamné, au moment où il voit arriver le courrier qu’il sait devoir le justifier ; le curieux, ce prince devenu plus tard le troisième calender, qui, reçu dans un palais magnifique et rassasié de plaisirs, ne peut se défendre d’ouvrir la seule porte qu’on lui ait interdite ; le juif même, le juif âpre au gain, ce médecin du conte du petit bossu, qui, appelé et payé d’avance, est transporté de tant de joie que, dans sa précipitation, il bouscule et fait rouler au bas de son escalier le malade qu’on lui amenait. Dans la plupart de ces contes, chaque travers entraîne avec lui sa peine ; mais ce n’est pas là l’effet d’une loi absolue ; ce n’est qu’une conséquence heureuse que le hasard produit dans certains cas.

Deux traits sont spéciaux à cette morale populaire, ou plutôt à cette psychologie : l’admiration pour le vol lorsqu’il est bien exécuté, et la cruauté. Le vol est admiré comme témoignant de hardiesse, de sagacité, d’adresse et d’esprit d’à-propos. Le conte de Dalilah la rusée et de sa fille Zéïnab est tout entier consacré à l’apologie du vol bien fait. Les contes prêtent aux khalifes eux-mêmes ce sentiment d’estime pour les voleurs émérites. Ils nous montrent Haroun recrutant parmi eux ses policiers ; et c’est encouragée par cette disposition d’esprit du khalife que la rusée Dalilah tente les coups d’audace qui doivent lui réussir. Par un effet inverse du même sentiment, la police est souvent bafouée. Une femme ayant été coupée en morceaux à Bagdad et jetée dans le Tigre, le vizir Djafar reçoit l’ordre du khalife de trouver le coupable en trois jours : « Comment, dans une ville aussi vaste et aussi peuplée que Bagdad, se demande ce vizir désolé, retrouver un meurtrier qui, sans doute, a commis son crime sans témoin et qui, d’ailleurs, a probablement déjà quitté la ville ? Un autre que moi tirerait de prison quelque misérable et le ferait passer pour le coupable... » Ce dernier trait est dur ; c’est, après la comédie, la satire.