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qui, en fait, n’étaient pas fondées. La cruauté est un vice dont malheureusement ne sont pas exempts quelques-uns des plus grands personnages de l’histoire arabe, Haroun-al-Rachid lui-même, et dont plusieurs d’entre eux, comme le fameux général Helladj ou le khalife Fatimide Hakem, fournissent de trop célèbres modèles.

L’amour, enfin, est le sentiment qui illumine ces récits, qui en fait le charme le plus sûr et le principal attrait. Ici la psychologie des contes se relève, et des sentimens touchans, nobles ou passionnés, se substituent à ces dispositions tantôt un peu bourgeoises, tantôt un peu barbares, que nous venons d’analyser. L’amour paraît souvent dans les historiens arabes. Il est l’objet de nombreuses anecdotes dont quelques-unes sont délicieuses. Telle celle de l’esclave du khalife Motewekkil, appelée Mahboubeh. Cette esclave, belle, musicienne, poète, avait su, un jour de disgrâce, ramener à elle son maître par une poésie qu’elle avait composée et qu’il lui avait entendu chanter derrière le rideau de sa chambre. Après la mort de Motewekkil, Maliboubeh parut devant Waçif son successeur, avec la robe blanche de deuil et le visage triste, tandis que ses compagnes étaient parées et rayonnantes de joie. Invitée à chanter, elle ne sut dire que ces vers : « Comment la vie pourrait-elle me plaire, si je ne rencontre plus Djafar, ce roi que j’ai vu souillé de poussière et de sang ? Mahboubeh, si elle savait que la mort s’achète, l’achèterait de tout ce qu’elle possède pour être portée an tombeau. » Elle fut jetée en prison et on ne la revit plus.

Des traits spéciaux à la psychologie de l’amour dans les contes peuvent être notés, tenant soit au tempérament des peuples où ces récits ont pris naissance, soit à leur état social. L’amour de la femme pour l’homme y semble en général plus intense que celui de l’homme pour la femme. Ainsi, dans le conte du marchand chrétien, l’amante ayant vu revenir son ami privé d’une main qu’on lui avait coupée, en meurt de chagrin ; mais l’homme ne meurt pas ensuite de la mort de la femme ; il hérite de tous ses biens et peu à peu se console. L’amour naît presque toujours en coup de foudre. Ceci est une conséquence des mœurs musulmanes : le commerce de l’homme et de la femme n’y étant pas libre et ordinaire comme chez nous, l’homme susceptible d’être touché par la passion de l’amour, l’est soudain dans les occasions brèves qui se présentent. Un voile qui se lève,