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D’autre part, nombreux sont les écoliers de mauvaise volonté, qui figurent officiellement sur les listes, mais qui, dès l’âge de onze ans, disparaissent de l’école, et qui, dans la durée même de leurs brèves années d’études, désertent complètement la classe pendant plusieurs mois. Si la terre, si le bétail, si le ménage n’ont pas besoin d’eux, ils vont à l’école ; elle est pour eux un pis aller. « La scolarité réelle, lit-on dans une circulaire ministérielle de 1895, commence plus tard et finit plus tôt que la scolarité légale. L’enfant gaspille en fait un cinquième, un quart et parfois un tiers du temps qu’il doit à l’école et que l’école lui doit. » La dernière Statistique de l’ Enseignement primaire, qui est de 1902, donne des renseignemens très précis sur la présence effective des enfans dans les écoles publiques de France aux dates du 2 décembre et du 3 juin, choisies pour une sorte de revue d’appel. La meilleure assiduité scolaire se rencontre dans le département de la Mayenne, où le 2 décembre 1902, sur 100 écoliers inscrits, 16 seulement étaient absens. La proportion des absens, plus élevée partout ailleurs, atteignait, à la date du 2 juin, dans certaines régions, un taux véritablement accablant : ce jour-là, sur 100 écoliers inscrits, il y en avait 45 dans les Hautes-Alpes, 48 dans la Haute-Loire, 49 dans la Lozère, qui ne connaissaient d’autre école que l’école buissonnière. Aussi la tristesse de M. l’inspecteur général Cazes était-elle singulièrement légitime lorsqu’en 1904 il se permettait d’écrire : « La situation est aujourd’hui à peu près ce qu’elle était avant l’application de la loi de 1882 : une moyenne de 5 pour 100 d’enfans dans les campagnes, de 10 pour 100 dans les centres populeux, ne fréquentant aucune école ; et, chose plus grave, les 95 centièmes fréquentant d’une manière tout à fait insuffisante. »

Car, en dernière analyse, avant de se prévaloir avec un confiant orgueil du nombre actuel des conscrits réputés lettrés, il conviendrait de se demander si, parmi les conscrits sachant tant bien que mal lire et écrire, et qui semblent dès lors, dans les colonnes des statistiques, rendre hommage à l’efficacité de nos institutions scolaires, il ne se trouve point beaucoup d’ignorans, dignes à tous égards d’être courtoisement qualifiés d’illettrés. On fit un curieux essai, il y a quatre ans, sur 41 conscrits provenant des diverses régions du 5e corps d’armée, et considérés comme « lettrés ; » plus de la moitié d’entre eux ne pouvaient rien dire de Jeanne d’Arc ; les trois