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quarts ne connaissaient pas la signification de la fête nationale ; près des deux tiers ne savaient rien de la guerre de 1870. Livrés par l’école à la caserne pour servir la France, ces jeunes gens, en somme, ignoraient tout de la France : pour eux, les grands souvenirs demeuraient sans voix ; les allusions patriotiques étaient muettes et mortes, et lorsque à la caserne on s’efforçait de faire vibrer leur âme, cette âme était sans résonance. En revanche, le plus grand nombre d’entre eux calculaient convenablement ; il semblait que, de tout ce qu’ils avaient appris sur les bancs, ils n’eussent retenu, ou à peu près, que l’importance des chiffres. Des cours d’adultes sont institués dans beaucoup de chambrées, pour combler les étranges lacunes dont a souffert la formation intellectuelle et morale de l’écolier ; ces cours, destinés, avant tout, à des illettrés ou à des ignorans, gardent un caractère très élémentaire ; dans des (garnisons comme Laon, Avignon, Bourges, où les conscrits incapables de lire et d’écrire sont au nombre de 85, 120, 135, l’effort post-scolaire ne peut être, à peu près, qu’une répétition de l’effort scolaire ; et parfois, là où l’ambition de l’école échoua, la caserne, plus modeste en son œuvre de bienfaisance intellectuelle, peut enregistrer quelques succès. On sait que certains instituteurs, s’abandonnant à l’emphase naturelle des imaginations pacifistes, rêvent d’une France sans casernes : se rendent-ils compte que ces casernes dont ils médisent sont l’asile suprême où l’ignorance rebelle entrevoit quelques lueurs de savoir, et qu’elles ménagent aux êtres déshérités, sur lesquels l’école n’a pas su avoir prise, un dernier espoir d’ascension vers un peu de science ? Toutes préoccupations de défense nationale mises à part, il est permis, peut-être, au nom même du souci que nos instituteurs affectent pour l’instruction, de leur demander quelque respect et un peu d’équité pour ce militarisme, qui constate à contre-cœur et répare de son mieux les faillites partielles de nos entreprises scolaires.

Les rapporteurs de la Ligue de l’ Enseignement ont cherché les causes de la mauvaise « fréquentation scolaire ; » ils en notent plusieurs, et spécialement, disent-ils, l’opposition du clergé. Si l’enseignement primaire jette encore, dans les cours des casernes, tant d’illettrés et tant d’ignorans, le clergé serait partiellement responsable. Mais M. l’inspecteur général Cazes apporte un détail qui a sa valeur ; il nous apprend que l’effectif des écoles congréganistes, de 1887 à 1902, n’a pas cessé de