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la médiocrité de leur traitement ; les jeunes ont compris qu’une perspective politique leur est offerte, qu’ils peuvent maintenant aspirer, non plus même, comme jadis, à être des forces auxiliaires, mais à être, bien plutôt, des forces dirigeantes, et qu’ils seront les premiers à bénéficier des remaniemens budgétaires qui sanctionneront les victoires électorales. L’or que l’on distribuait au clergé et l’or que l’on « gaspillait » dans les états-majors, les ressources de l’Église et les ressources de la défense nationale, trouveront une affectation meilleure : les Amicales dicteront aux députés leurs votes. M. Carnaud, dans sa conférence, opposait à l’homme d’Eglise, qui est gras, l’instituteur, qui est maigre ; et il annonçait comme toute prochaine l’heure où les hommes politiques diraient : « Dans les Amicales d’instituteurs, il y a une force ; nous voterons pour eux. » Les auditeurs de M. Carnaud se laissaient aller à applaudir cet idéal, et à rêver cette audacieuse simplification politique en vertu de laquelle, le candidat ayant fait « marcher » l’instituteur durant la campagne électorale, l’instituteur, au cours de la législature, ferait « marcher » le député. Les Amicales, à la façon des loges, se transformeraient ainsi en autant de Parlemens au petit pied, dans lesquels les maîtres de l’école donneraient un mandat impératif aux représentans de la nation.

Jules Ferry, invitant les primaires à « veiller d’un œil jaloux sur la chose la plus sacrée et la plus respectable qui soit dans le monde, l’âme de l’enfant, » les appelait à exercer sur la France du lendemain une certaine hégémonie morale ; l’hégémonie à laquelle M. Carnaud les convie s’exercera sur les urnes où les citoyens mettent leurs bulletins et sur les boîtes où les députés rangent les leurs ; et l’on pourra parler, alors, en toute vérité, du gouvernement des instituteurs, au même sens où jadis certains citoyens ombrageux parlaient du gouvernement des curés.


IV

La pente est fatale, et dans les milieux officiels on commence à se demander, avec quelque inquiétude, jusqu’où dévalera, dans l’abîme de la politique, la fraction la plus avancée de notre personnel scolaire, plus empressée, semble-t-il, de faire la loi à la France, que de collaborer docilement, avec les autorités officielles, au relèvement de l’intelligence française.