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L’esprit d’aigreur fer mente ; les plaintes s’accentuent en menaces ; les mécontentemens s’épanchent en colères. Une question sociale, qui est à proprement parler une question de salaire, a fait son apparition dans le monde des instituteurs ; elle insurge un certain nombre d’entre eux contre les pouvoirs publics ; et l’antagonisme se dessine entre l’école primaire et l’Etat bourgeois.

Voilà vingt ans que la République, fidèle aux désirs de Jules Ferry, multiplie les sacrifices pécuniaires en faveur de l’enseignement primaire. M. Charles Laurent, directeur général de la comptabilité publique, expliquait à la Chambre, à la fin de l’année dernière, que, depuis 1886, les augmentations budgétaires au profit des instituteurs se sont élevées à 49 millions, et que d’ores et déjà, pour les années 1906 à 1908, 29 millions de débours supplémentaires sont engagés. Mais ces dépenses croissantes de l’Etat n’ont pu empêcher beaucoup d’entre eux d’être mécontens de leur métier, mécontens même de leur pays. Dans un roman de grande valeur : Jean Coste, M. Antonin Lavergne s’essaya naguère à nous montrer les désillusions et les détresses de tout genre dont les jeunes maîtres croient avoir à se plaindre : contenant son émotion, surveillant son âpreté, il présentait à ses collègues le miroir dans lequel ils revoyaient leur propre vie. L’emphase optimiste de nos députés et de nos ministres fut désormais gênée : il semblait que les sourdes imprécations de Jean Coste, bourdonnant dans la tête de nos instituteurs, fermassent leurs oreilles aux complimens dont l’éloquence officielle les courtisait, aux promesses dont elle les berçait.

En vain M. Buisson saluait-il en eux je ne sais quelle variété de prêtres, desservant « le temple laïque des fidèles de la seule religion ; celle du Droit, celle de l’Humanité ; » en vain M. Combes s’inclinait-il devant eux comme devant les « ministres d’un culte nouveau qui a pour autel la liberté. » Jean Coste et ses camarades murmuraient, à part eux, que le prêtre doit vivre de l’autel, et qu’eux-mêmes vivaient fort mal. Jean Coste demandait de quoi faire du feu : on lui donnait de la fumée. « Le contraste, écrivait M. Charles Dupuy, est décidément trop fort entre le sacerdoce civique dont on investit les instituteurs et la médiocrité de la situation qu’on leur fait. » Pour tout de bon, bientôt, Jean Coste allait se fâcher.

« La foi de la République dans l’instituteur et la foi de l’instituteur dans la République, disait encore en 1900 M. Ferdinand