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et de son irréalité. Pareillement l’intrigue de l’Avare, — ce fils, rival en amour et à la fois emprunteur des écus de son père, — ou l’intrigue des Femmes savantes. Mais, au contraire, quoi de plus naturel que l’intrigue du Misanthrope ? ou celle même de Tartufe ? et je dirai de plus réel ? qui soit moins en dehors ou en marge de la vie commune ? de moins conventionnel ou de moins artificiel ? Les moyens de Tartufe sont classiques, étant universels et quotidiens, pour accaparer une fortune, provoquer une donation, capter un testament ; et c’est tous les jours, dans tous les mondes, l’ancien et le nouveau, le grand et le petit, qu’une coquette se joue de l’amour d’un honnête homme, et qu’elle s’en joue précisément à la manière de Célimène, sans calcul, et rien qu’en suivant le mouvement de sa propre nature.

Ajoutons, maintenant, à cette vraisemblance de l’intrigue, la vérité des caractères ? Et, en effet, on ne saurait enfoncer un peu avant dans l’analyse des « caractères, » sans rencontrer, sans toucher la laideur ou la misère humaines. Célimène est « odieuse, » avec sa coquetterie, je veux dire avec son instinct d’attirer, d’attiser autour d’elle et d’exaspérer le désir des hommes ; et je n’ai besoin de qualifier ici ni don Juan ni Tartufe. Mais trouve-t-on, en leur genre, et s’il est autre, qu’Alceste, ou qu’Orgon même, trouve-t-on qu’Elvire, que Charlotte, que Mathurine prêtent à rire ? On riait d’Arnolphe et d’Argan, parce qu’ils n’étaient que des épreuves affaiblies, si je puis ainsi dire, des épreuves habilement « retouchées » de la réalité de leur type, adaptées à l’optique de la scène et ramenées à la formule de la comédie. Mais le moyen de rire des victimes de don Juan ou de Tartufe ? et le moyen de rire même d’Alceste ? C’est qu’il est bien possible, je le veux, puisqu’on l’a dit, que « le rire soit le propre de l’homme, » mais la vérité n’a jamais fait rire personne ; et, au contraire, dans la littérature et dans l’art, à mesure que les imitations qu’on en fait en approchent, elles deviennent tristes et douloureuses comme elle. C’est ce que nous voyons dans Don Juan, dans Tartufe, dans le Misanthrope. L’intérêt même que l’on y prend à la vérité de l’observation y gêne l’explosion du rire, et le comique s’évanouit dans la fidélité de la représentation. Qu’y a-t-il de comique dans la colère amoureuse et désespérée d’Alceste ? ou dans la sèche et hautaine réponse de don Juan à Sganarelle : « Je crois que deux et deux sont quatre, et que quatre et quatre sont huit ? « Ceux qui voudront néanmoins continuer d’en rire auront la ressource de ne pas comprendre.

Mais c’est pourquoi, dans ces grandes pièces, il n’y a de « comique, » à proprement parler, que les scènes surajoutées dans l’intention