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III

Quelles conclusions tirerons-nous de là ? Celle-ci, premièrement, qu’il existe des « genres littéraires, » et que ces genres sont soumis à des lois. C’est ce qu’on ne veut pas admettre aujourd’hui. « Les genres, dit-on, qu’est-ce que les genres ! En quoi cela consiste-t-il ?» Et quand on a beaucoup d’esprit, on demande quelle en est la couleur ou la forme ? S’il faut pourtant bien reconnaître « que toute littérature est épique, dramatique, ou lyrique, » on ne veut pas dire autre chose quand on affirme l’existence des genres ; et on a seulement des raisons de le dire d’une autre manière. L’une d’entre elles est précisément de ne pas immobiliser les genres dans des bornes trop étroites. Mais pour être variables, ces bornes n’en existent pas moins, et. dans l’histoire de la littérature ou de l’art comme dans la nature même, il y a toujours une limite à la variation. Cette limite s’atteint par le moyen d’une succession de formes qui vont de la réalisation primitive ou rudimentaire du genre, de la farce de la foire, par exemple, ou du vaudeville à la haute comédie, laquelle déjà confine au drame, et déjà par conséquent n’est plus qu’à peine la comédie. Tel est justement le cas de Tartufe et du Misanthrope. Le Misanthrope et Tartufe sont déjà des tragédies bourgeoises que Molière a vainement essayé de faire entrer dans le cadre de la comédie. Or, on ne fait pas rire avec la représentation du vice ou la peinture de la souffrance ; et, disons quelque chose de plus : on ne fait pas rire, — ou pleurer, — au théâtre, avec des imitations trop fidèles de la réalité. La discordance est trop forte entre les moyens et l’objet. C’est encore le cas de Tartufe et du Misanthrope. Ni le sujet, ni les personnages, ni les caractères n’en sont assez fictifs. Tout ce réalisme ou ce naturalisme, qui conviendraient peut-être au roman, débordent en tous sens le cadre, ou la définition de la comédie, — et cet enseignement d’art vaut la peine d’être retenu.

Une autre conclusion se dégage de cet examen. Sainte-Beuve a écrit, dans un passage que rappelle M. E. Martinenche : « Molière jusqu’à sa mort fut en progrès dans la poésie du comique. Qu’il ait été en progrès dans l’observation morale et ce qu’on appelle haut comique, celui du Misanthrope, du Tartufe et des Femmes savantes, le fait est trop évident, et je n’y insiste pas... » Il en est de ce fait « trop évident » comme de beaucoup d’autres, et, à vrai dire, on vient de le voir, il ne lui manque, pour être tout à fait évident, que « d’avoir existé. »