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Du Misanthrope, qui est de 1666, et de Tartufe, que nous daterons ici de 1667, — nous pourrons le dater de 1664, — aux Femmes savantes, qui sont de 1672, il n’y a nul progrès de Molière dans l’observation morale, ni de sa comédie vers ce qu’on « appelle haut comique ; » et le contraire serait même plus vrai. L’observation morale est assurément plus superficielle, plus conventionnelle surtout, dans l’Avare que dans le Misanthrope ; et le « haut comique » des Femmes savantes, en comparaison de celui de Tartufe, n’est que du haut comique de collège : on comprend les Précieuses ridicules, un acte en prose ; on ne comprend pas cinq actes en vers pour bafouer un ridicule d’aussi peu de portée sociale que celui des Femmes savantes... Mais, quoi qu’il en soit de ce point particulier, toujours est-il que quand on veut parler des progrès d’un écrivain dans son art, il faut tenir de la chronologie de son œuvre un peu plus de compte que l’on ne faisait au temps de Sainte-Beuve, et surtout si sa carrière a été aussi courte que celle de Molière, laquelle, comme on sait, n’a pas duré quinze ans, de 1659 à 1673. On ne peut alors y regarder de trop près, si l’on y veut distinguer des « Époques, » ni préciser avec assez d’exactitude la succession des œuvres dans le temps.

Ajoutons que le cas est de ceux où l’on voit le grand avantage de substituer, en histoire littéraire, au mot et à l’idée de Progrès, ceux de Développement ou d’Evolution. Il n’est pas du tout nécessaire en effet que la production d’un grand écrivain soit continûment en progrès sur elle-même, ou, au contraire, en décadence ; mais ce qui est certain, c’est qu’à moins qu’il ne s’immobilise, à un moment donné, pour des raisons à lui, dans l’exploitation de sa propre manière, il évolue ; et ce qui est intéressant, c’est de suivre, en essayant d’en caractériser les accidens ou les phases, le cours de cette évolution. On voit alors que cette évolution n’est pas la même pour tous, dans un même siècle ou dans une même école ; et rien ne paraît plus simple ou plus naïf qu’une telle observation ; mais, au moment où j’écris, c’est ce que ne soupçonnent pas beaucoup de critiques et d’historiens de la littérature. Ils ont l’air de croire, conformément à la formule que nous avons rappelée plus haut, que tout artiste ou tout écrivain, après avoir dépensé plus ou moins de temps à « se chercher, » comme le Corneille de Clitandre et de la Galerie du Palais, « se trouve, » donne ses chefs-d’œuvre, et, comme le Corneille d’Agésilas et d’Attila, « se perd ; » — à moins que, comme le Racine d’Esther et d’Athalie, il ne se surpasse ! La nature est plus diverse et surtout moins systématique. Il y en a qui s’étaient « trouvés » même avant que d’avoir eu besoin de « se