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Maroc que le statu quo ? Son nom est Raissouli. C’est le brigandage à la porte même de Tanger ; c’est l’impuissance absolue du gouvernement et l’humiliante obligation pour lui de traiter avec des bandits et de leur confier finalement des fonctions publiques ; c’est l’anarchie et l’insécurité partout. Le gouvernement allemand peut s’en accommoder ; nous non ; et tout le monde admettra bien qu’un pareil état de choses est contraire aux intérêts de la civilisation. Voilà pourquoi nous avons voulu le modifier à nos risques et périls, sans rien cacher, sans rien dissimuler de nos intentions, en les avouant même très haut. Nous avons voulu nous charger de la tâche à entreprendre ; mais, certes, pour la mener à bon terme, il fallait exercer quelque pression sur le Maghzen. Il le faudra toujours, de quelque manière qu’on s’y prenne. Cette pression, pour être efficace, n’a pas besoin de l’établissement d’un protectorat formel sur le Maroc. Nous n’avons jamais eu l’idée, quoi qu’on en ait dit, d’y établir le nôtre, et aussi bien on n’en a trouvé la preuve que dans des articles de journaux. Ce n’est pas dans des articles de journaux qu’il faut chercher la pensée du gouvernement français, mais dans son langage officiel et dans ses actes publics.

On la trouvera notamment dans la Déclaration que M. Rouvier a lue à la tribune de la Chambre le Ki décembre. Déclaration qui, à l’exception de la petite phalange de M. Jaurès, c’est-à-dire de 50 socialistes, a été approuvée par l’unanimité des représentans du pays. Elle est excellente de fond et de forme, d’esprit et de ton. La modération et la fermeté de notre politique y apparaissent dans un parfait équilibre. Les journaux allemands en ont peu parlé, non plus que du Livre Jaune lui-même, comme s’ils en éprouvaient un certain embarras ; mais partout ailleurs l’approbation a été générale et complète. Nous avons dit qu’elle l’avait été à la Chambre française. On s’y attendait à un grand débat ; il était notoire que beaucoup d’orateurs devaient y prendre part ; mais, toujours à l’exception de M. Jaurès, ils y ont patriotiquement renoncé. Ils ont eu l’impression vive et rapide que la Déclaration de M. Rouvier était un acte et que le mieux était de s’y rallier et de le soutenir. Ce sentiment, qui était celui de tous, a été exprimé dans un admirable langage par M. Ribot. L’émotion de l’orateur donnait encore plus d’accent et plus d’autorité à sa voix. Le moment de s’expliquer viendra. Nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’un Parlement doit toujours se taire en face d’une situation extérieure compliquée ; nous trouvons même que le nôtre se tait trop souvent ; mais il y a des circonstances où le gouvernement parle pour tous, et.