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confiante, fanfaronne, expire ; le glorieux soleil fait place à la nuit romanesque sur les ravins de l’Arcadie. Des vies sans nombre et des forces choisies ont été pressées comme des roses pour que ce burg nous fût un flacon de parfums.


Pouvait-il se dépenser tant d’énergie française, sans que l’amour courût en profiter ?

On voudrait qu’un Stendhal du XIIIe siècle nous eût donné les Promenades dans l’Achaïe, ou bien Athènes, Corinthe et Mystra, ou bien encore des Chroniques péloponésiennes. Ce qu’eussent été de tels mémoires, on l’entrevoit à respirer les ruines féodales en Grèce ; et sous la sécheresse des vers du Livre de la Conqueste on s’imagine distinguer une délicatesse française, mûrie, forcée de quelques siècles par le soleil ou les effluves de cette terre civilisatrice.

Comme elle est galante la lettre que l’aimable Rambaud de Vaquéras écrit à son amie, demeurée à Montferrat : « Tous les jours, je vois belles armes, bons chevaliers, batailles, sièges de villes, machines battant tours et murailles. Rien n’y parle d’amour, mais je vais vêtu d’un riche harnais, quérant guerres et batailles, pour m’enrichir de conquêtes. Nous avons fait des empereurs, des rois, et des ducs ; nous avons forcé des châteaux en Asie, pris des Turcs et des Arabes, ouvert tous les chemins de Brindes au bras Saint-Georges ; je vois le marquis content et heureux, ainsi que le Champenois et le comte de Saint-Paul ; jamais nulle gent n’obtint tant d’honneurs sur terre. Mais à quoi me sert d’avoir si grande puissance, si mon chagrin s’est accru aussi, puisque je suis éloigné de ma dame et sais que plus ne me viendra joie. »

Un si gentil garçon ne dut pas longtemps attendre sa consolation.

Toutes les femmes se tiennent sur le rivage ; elles ignorent qu’elles soupirent après les navigateurs inconnus. Et ceux-ci ne savent pas qu’ils aiment déjà l’amante surprenante qu’après un long voyage ils trouveront au débarqué. Mais nos Français reconnurent tout de suite le prix du présent que les dieux helléniques leur daignaient ménager et que, le dimanche matin, sur le parvis de nos églises, les filles de chez nous leur avaient prophétisé.

Une race naquit de leurs plaisirs. Dans cette race nouvelle,