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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/361

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est épargne, parce que Beyle se croit admiré de lui. Mais Martial Daru, Mounier, Tencin, Crozet et tous les visiteurs ordinaires de Louason passent de bien mauvais momens entre les mains de notre analyste du cœur. Nous avons cité déjà son jugement presque haineux sur son compatriote et contemporain Félix Faure. En général, dès qu’il entre dans un salon, il « souligne les ridicules des gens, » ce qui lui prépare naturellement des difficultés prochaines, et, bientôt, le besoin de changer de milieu.

Le voilà commissaire des guerres, et c’est le cabinet de M. Daru qui est désormais le champ d’observation de sa psychologie malveillante. Tout d’abord, le personnage principal du lieu, l’actif et indispensable collaborateur de l’Empereur, inspire à son jeune auxiliaire un sentiment qui est clairement exprimé par ces mots : « Il avait une peur mortelle de Napoléon, et j’avais une peur mortelle de lui... Je cherchais le plus possible à être séparé de M. Daru, fût-ce par une porte à demi fermée... Quand j’écrivais cella par deux ll aux bureaux de la Guerre, j’étais bien loin de connaître encore toute la dureté de M. Daru, ce volcan d’injures. » Plus tard, instruit par les années difficiles de la Restauration, il discernera mieux quelle avait été la bonté infatigable de ses cousins à son égard. Mais, en 1809, voici au jour le jour ses sentimens sur leur compte, et sur ses autres collègues[1] : « Jamais M. Daru ne m’aimera... Ce qu’il y a de sûr, c’est que ses yeux s’arrêtent avec bienveillance sur M..., jeune homme dont assurément je ne veux pas dire de mal, mais auquel je suis supérieur... Je vis négligé au milieu de seize ou dix-sept commissaires des guerres... et mes camarades ne m’aiment point. Les sots ont commencé par me trouver l’air ironique. Au reste, puisque cette feuille contient déjà des choses qui peuvent compromettre, il vaut mieux couler à fond le personnel de notre état-major. » N’y a-t-il pas de la manie dans ce besoin de dénigrement instinctif, irrésistible et universel ? Un certain Fromentin de Saint-Charles, en particulier, est la bête noire de son compagnon de bureau. Cet « intrigant... regarde tout le reste de la boutique comme des enfans : je suis le seul qu’il croie digne d’un jeu serré... Cela pourrait bien finir ; par un duel... Je serai peut-être forcé de résister à quelques-unes

  1. Journal, p. 338 et suivantes.