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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/371

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tion des gelées, pâtes, confitures, etc. ? Avisés de la présence du chondrus sur les roches de Bretagne, ces industriels s’adressèrent au maire d’une petite commune maritime des Côtes-du-Nord (Trégastel), qui les mit en rapport avec ses administrés. Ceux-ci n’eurent pas plutôt connu le prix qu’on leur offrait (8 et 9 francs des 100 livres) qu’ils s’empressèrent de se porter, aux grandes marées de vives eaux, vers les fonds où croît de préférence le précieux végétal. J’ai vu naître et se développer cette industrie, devenue par la suite exclusivement féminine ; j’ai assisté, sur le Sillon de Talberg, à la coupe des goémons d’amendement ; j’ai erré, avec les pêcheurs de l’Abervrach et du Conquet, sur les « basses » où l’on recueille le goémon de fond riche en principes iodés, et ce sont les tableaux divers de ces grandes fauchaisons marines que je voudrais retracer ici, tels qu’ils se sont fixés dans ma mémoire.

I

Les marées d’été sont, par excellence, les marées du jargot (sobriquet qu’on donne dans le Tréguier au chondrus crispus, appelé aussi bizin vvenn ou goémon blanc, lichen, mousse d’Irlande, mousse perlée et chicorée de mer). Le temps est généralement beau à cette époque et permet les longues expéditions dans les îles lointaines, plus riches et moins fréquemment explorées que le littoral. De Trélévern à Trébeurden[1], toutes les barques de pêche et jusqu’aux petits caboteurs sont nolisés pour la circonstance ; les passagers, — de sexe féminin pour la plupart, — s’y entassent comme ils peuvent avec leurs provisions, leurs sacs, leurs faucilles et leurs marmites ; le prix de la traversée, aller et retour, est de 30 centimes par passager. Les barques sont bientôt pleines à couler bas. On borde un bout de toile et, le jusant et le vent d’amont aidant, on est en une heure et demie ou deux à l’Île aux Moines, quartier général des jargoteurs.

  1. L’industrie du jargot, qui s’est étendue au Finistère, fut longtemps resserrée entre ces deux points de la côte trégorroise. — Certaines communes, suppléant au silence de la loi, ont essayé de réglementer elles-mêmes la coupe du jargot ou lichen. C’est ainsi que le « règlement » voté par le Conseil municipal de Trégastel pour l’année 1905 portait : « Art. 10. La coupe du lichen commencera le 1er juillet 1905 et prendra fin le 30 septembre suivant. » Le sous-préfet de Lannion retourna la délibération en faisant remarquer « que la récolte du lichen a fait l’objet d’une étude très détaillée dont les résultats ont été adressés à M. le ministre de la Marine en 1903, et qu’aucune solution n’est encore intervenue. »